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solennités nationales, rattachées à ce vaste système, seront la route facile et brillante par laquelle les générations à venir seront conduites vers la vertu et le bonheur, but de toute civilisation, terme final auquel la révolution française doit aboutir. »

Voilà la théorie des fêtes publiques à son état, pour ainsi dire, d’innocence et de rêve. Et d’abord rien dans les faits ne motivait-il l’idée d’introduire là aussi des modifications, des changemens ? Les fêtes célébrées à propos d’une naissance, d’un avènement, d’un mariage, d’une entrée royale, un peu trop banales et frivoles, n’étaient pas suffisamment en rapport avec les mœurs que rêvait de se donner une société qui voulait l’avancement de la masse, et qui avait pour inspiration l’idée de la nation substituée à l’idée monarchique. On peut objecter que dans un autre pays libre, en Angleterre, vainement les idées et les institutions se renouvellent ; on laisse subsister les vieilles fêtes, les vieilles cérémonies, les vieilles coutumes, sans se soucier ni des contradictions ni des contrastes, sans avoir l’idée d’investir l’état du rôle d’instituteur de morale à l’aide des solennités publiques. Rien de plus vrai, mais nous savons aussi que telle ne fut en rien, à tort ou à raison, la méthode suivie par la révolution française. Elle procédait logiquement, un peu à la façon d’un livre : on voulait un lien entre toutes les parties, et les chapitres devaient, ce semble, se faire suite les uns aux autres.

Il est curieux de voir les esprits les plus grands, les plus fermes, comme Mirabeau, les plus pénétrans, les moins aisés à duper, comme Talleyrand, tracer des programmes qui attestent quelle idée démesurée ils se font de l’influence des fêtes publiques. La convention devait aller encore plus loin. Malgré les expériences déjà faites, qui laissaient fort à désirer, M. J. Chénier, dont le nom reparaît dans toutes ces questions, trace de ce que doivent, de ce que vont être ces fêtes une peinture idéale (séance du 15 brumaire an II). Il les voit avec la foi ; il les salue à l’avance, ces fêtes radieuses. Sommes-nous en France ? sommes-nous en Grèce ? Il n’importe selon Chénier. Le climat disparaît devant l’homme. Que parle-t-on d’un autre ciel, d’un autre air, d’une autre race, d’une autre civilisation ? Il y a les institutions, il y a la liberté, âme, centre glorieux de ces fêtes, auquel tous les arts viendront former un magnifique cortège. À cette liberté, qui a bien un peu l’air théâtral, l’architecture élève un temple, la peinture et la sculpture retracent son image, la poésie chante ses louanges, la musique lui soumet les cœurs, la danse elle-même égaie ses triomphes. Beau rêve, de plus en plus obscurci, souillé, depuis les débuts de la révolution !

Ce que ces débuts eurent d’heureux, de brillant, il serait injuste de l’oublier. Joie, cordialité, enthousiasme, véritable assaisonnement de ces fêtes, autrement mornes et glacées ! On en eut comme