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— comparaison quelque peu arbitraire. Et d’abord elle forcerait à pousser plus loin le parallèle sur la dignité, la sécurité, dont les écrivains ont joui aux deux époques. Il nous semble qu’après tout le temps de Louis XIV s’en tirerait encore assez bien. On cite, il est vrai, telle médiocrité bien rentée sous le grand roi, qu’on oppose à tel homme supérieur qui l’était moins libéralement. Peut-être faudrait-il se demander si ceux qu’on représente comme sacrifiés injustement n’avaient pas des ressources personnelles ou d’autres faveurs royales, et puis tel que vous appelez médiocre n’était-il pas alors presque un grand homme, Chapelain par exemple ? Des médiocrités obscures, de prétendus talens dotés pour leurs flatteries (qu’importe qu’elles aient eu le peuple pour objet ?), est-ce que cela ne se vit point sous la convention ? Il nous semble pourtant entrevoir quelques-uns de ces noms parfaitement oubliés, et Dieu nous garde d’aller demander compte de leurs titres au citoyen Brun, auteur du Triomphe des Deux-Mondes, au citoyen Croulet, auteur d’un poème sur la liberté, au citoyen Gaudin, auteur d’un écrit contre le célibat des prêtres ! A un certain nombre d’exceptions près, les choix sont des mieux justifiés, les sommes réparties convenablement. La convention n’a fait le plus souvent que ratifier les indications de l’opinion publique. Elle prouvait par là que la république française ne comptait pas s’en tenir à l’idée mise en avant d’encourager le talent pauvre en lui distribuant, disait un rapporteur, « de simples feuilles de chêne » au nom de cette maxime, que, « si les récompenses fondées sur l’argent sont le fait des monarchies, la gloire est la monnaie des républiques. »

Une inspiration bienveillante appelait au bénéfice de ces dispositions des femmes qui portaient un nom célèbre par elles-mêmes ou par leurs aïeux, ce qui n’était peut-être pas très démocratique, mais ce qui est dans la nature humaine. La convention faisait inscrire, parmi les noms auxquels s’attachaient les munificences de l’état, la célèbre actrice Dumesnil, alors octogénaire, qui avait prêté aux chefs-d’œuvre de l’art dramatique une voix à laquelle tout un siècle avait applaudi. Elle y comprenait la petite-fille de Pierre Corneille, qui autrefois avait trouvé à Ferney un asile hospitalier et l’appui le plus secourable. Détenue quatorze mois pendant la terreur, elle n’avait plus, disait-elle, de lit pour reposer sa tête. La convention fit pour la vieillesse ce que Voltaire avait fait pour la jeunesse de cette nièce de l’auteur de Cinna. On songea aussi à étendre cette protection aux étrangers en inscrivant sur cette liste des faveurs nationales Thomas Payne, naturalisé d’ailleurs, bien qu’un décret l’eût exilé de la convention. Le poète dramatique italien Goldoni, octogénaire, fut maintenu dans la pension de 4,000 livres qu’il touchait depuis 1768. La petite-nièce de Fénelon fut réduite