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Comment ne pas le regretter ? En rendant à Saint-Denis ce qui lui appartenait, ne pouvait-on laisser réunis autant que possible et surtout compléter peu à peu ces monumens du passé, cette histoire originale de la France racontée par la pierre ? Pourquoi ne reprendrait-on pas cette belle et patriotique pensée ?

La musique eut aussi sa part d’attention et d’encouragemens. Cet art musical, qui semble être essentiellement du domaine individuel, comme les jouissances qu’il procure, a son côté général et national tout à la fois : il entre dans l’éducation, il a sa place dans les armées, il se mêle aux fêtes publiques et aux cérémonies religieuses. Aussi les anciens le considéraient à certains égards comme un art d’état, — idée dont il n’est sans doute que trop facile d’abuser. On ne peut cependant aller jusqu’à défendre à l’état de s’occuper de l’art musical. Ne le favorisera-t-il pas dans certains établissemens destinés à en maintenir les expressions les plus élevées ? Ne fera-t-il pas un choix pour la part où il l’admet dans l’éducation et dans les grandes solennités auxquelles il préside ? Les plus petits cantons suisses eux-mêmes n’ont pas poussé jusque-là l’abstention. Quant à la révolution, elle pouvait d’autant moins se résigner à ce genre de désintéressement qu’elle avait plus de tendance à s’emparer de tout, pour y mettre du moins son empreinte, sinon sa direction exclusive. La musique fut rattachée au comité d’instruction publique. On voulut en faire un art moral, héroïque, patriotique, fortifiant les cœurs au lieu de les amollir. Jamais nul temps, nul peuple n’avait à ce point compris tout ce qu’il y a de puissance d’ébranlement nerveux dans cet art, qui par la sensation éveille, remue, exalte le sentiment, et par le sentiment entraîne l’homme tout entier, — qui, sans égal pour le bien et pour le mal, porte au comble les passions les plus sublimes et les instincts les plus pervers, transformant l’homme au point de rendre brave un individu timide et sanguinaires des natures douces habituellement.

La révolution a eu ses chansons, ses airs, quelques-uns au début non sans gaîté, sans entrain, et de plus en plus violens et terribles. Elle les a mêlés à ses gloires, à ses excès. On y trouve un curieux mélange de naturel, d’inspiration noble ou triviale, enthousiaste ou sombre, et d’art, même d’artifice. Ces chants tantôt semblent naître tout seuls, s’élancer imprévus, tantôt on s’aperçoit qu’ils sont patiemment élaborés. La révolution eut ses musiciens officiels. Tels furent à divers degrés Méhul, Gossec, Dalayrac, Lesueur, Chérubini. Ils composaient la musique des hymnes dont Chénier, Ducis, Delille, Parny, Lebrun, avaient fait les vers. Plusieurs de ces compositeurs éminens furent chargés d’organiser l’Institut national de musique. Faisant allusion à cette fondation qui devait devenir le Conservatoire, et qui avait pu recevoir pendant la terreur même un