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le dictionnaire historique ou le dictionnaire de la conversation, et, si le plat réussit, on le fait reparaître plusieurs fois sous d’autres noms. Voilà comment se font les tableaux et les livres dans cette grande hôtellerie que nous appelons la société moderne.

Tel est le mal dont souffre l’école française, et dont nous entendons les critiques se plaindre invariablement et inutilement chaque année. On ne nous accusera certes pas d’en atténuer les couleurs ; mais où faut-il en chercher le remède ? Est-ce dans les récompenses, dans les concours, dans le choix des sujets imposés aux écoles, dans des prédications académiques et dans des encouragemens factices à des vocations de commande ? Croit-on que l’état de notre civilisation et de nos mœurs permette d’imposer à l’art des formes convenues, et de fabriquer à volonté des Raphaël, des Poussin et des Lesueur, ou même des David et des Ingres ? Non, ce n’est pas dans la discipline artificielle des écoles qu’est aujourd’hui le remède aux tentations du mauvais goût régnant, et l’on ne fait pas des artistes comme on fait des soldats. C’est par le travail individuel, par la sincérité du sentiment, par la persévérance de la recherche solitaire, par la liberté de l’art en un mot, qu’il faut essayer de se régénérer. En ce sens, le mal lui-même apporte son propre remède, car l’anarchie dont on se plaint a brisé le joug académique, et j’entends par là non pas seulement les traditions de l’art classique, mais celles même du romantisme, déjà aussi vieilles et encore plus artificielles que les autres. L’artiste est sans direction, livré à tous les caprices du public, mais il a repris toute sa liberté d’allures ; faute de modèles et de formes imposées, il ne peut s’adresser qu’à la nature, la seule vraie, la seule grande inspiratrice. Il est obligé de se reconnaître, de se recueillir, de chercher sa voie, et, s’il y en a beaucoup qui s’égarent, il y en a quelques-uns qui trouvent. Ceux-là ne sont ni les imitateurs d’un art qu’ils ne comprennent plus, ni les copistes habiles des procédés des diverses écoles, ce sont ceux qui savent entrer en communion intime avec la nature et qui sont d’assez bonne foi pour lui rester toujours fidèles.

Ne reculons pas devant les mots. La liberté de l’art conduit à une doctrine qu’il faut appeler par son nom, le réalisme. Qu’on ne s’effraie pas de ce terme, dont les charlatans ont tant abusé, car c’est le réalisme qui fera le salut de l’école moderne. Nous n’entendons par là ni la vulgarité systématique, ni la recherche passionnée de la laideur. Il y a un bon et un mauvais réalisme. Il y a un réalisme plat, grossier, inintelligent, qui consiste à rendre mécaniquement ce qu’on voit, sans essayer de pénétrer dans les secrets de la nature ; il y en a un autre qui s’attache uniquement aux détails matériels, aux objets inanimés et aux effets pittoresques : celui-ci n’est qu’une forme inférieure de l’art. Le vrai réalisme,