Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est un buste d’Ingres par M. Guillaume, l’un des maîtres de l’école française, que son extrême sobriété d’œuvres et sa négligence à rechercher le succès ont laissé trop ignoré du public. Ce simple buste est une grande œuvre d’art, un travail complet et irréprochable, tant par le caractère que par la vigueur de l’exécution. Le grand peintre y est représenté jusqu’à mi-corps. La main gauche, résolument et presque violemment empreinte sur un rôle, semble affirmer que l’art a sa probité et que la vérité du dessin doit en être la première loi. Le bras droit se relève sur la poitrine avec une sorte de fierté, tenant un crayon dans la main. L’expression du visage est d’accord avec ces deux gestes, pleine d’une sévérité magistrale et d’une conviction impérieuse. Le costume lui-même n’est pas choisi au hasard : c’est l’habit d’académicien, celui qui convient le mieux au caractère dogmatique du génie de M. Ingres, sinon même à son goût personnel pour l’importance des situations officielles. Un manteau attaché sur l’épaule et qui revient flotter sur le devant donne au personnage, par sa masse et par son ampleur, un certain aspect d’apothéose. On ne saurait dire que M. Guillaume s’est surpassé dans ce travail ; à coup sûr, il n’a jamais mieux fait,

Combien, chez les vrais artistes, le génie individuel est rebelle à l’éducation qu’ils reçoivent ! Qui se douterait, par exemple, que M. Guillaume est un élève de Pradier ? Ce n’est pourtant pas un homme d’un esprit hasardeux et indiscipliné ; on ne peut le soupçonner d’avoir fait fi des enseignemens de son maître. Et cependant il est difficile de trouver deux talens plus divers. Peut-être M. Guillaume a-t-il gardé de l’atelier de Pradier quelque habitude de recherche et d’élégance ; mais il y a joint la gravité, l’élévation, la sévérité, car l’extrême agrément de ses œuvres résulte de leur sobriété même, et l’on peut en dire ce que les anciens disaient de ce style achevé, tersus termo, dont l’élégance n’est que l’effet d’une concision savante. Ces œuvres semblent ornées sans avoir de parure, simples sans jamais être nues. Nourries du suc de l’antiquité, échauffées de l’exemple des grands hommes, le principal sentiment qui les inspire est pourtant un respect de la nature poussé jusqu’au culte passionné de la forme. Elles n’ont pas grand’chose de la renaissance ; elles appartiennent plutôt à l’art grec, tempéré par un mélange de cette distinction de bon aloi qui est la marque de l’esprit français. Le buste d’Ingres, comme les Gracques du Luxembourg, peut être placé à côté des meilleurs morceaux de Rude et de David d’Angers, parmi celles des œuvres contemporaines qui mériteront de servir d’enseignement aux générations futures.

Du autre vétéran de l’école française, M. Étex, n’a pas craint, malgré son âge et sa renommée, de se mêler à la foule des exposans de cette année. Sa Danaé, bas-relief en marbre, est un