Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est libre, naturel et plein d’élan. La tête n’exprime aucun sentiment raffiné, en dehors d’une jovialité bestiale ; elle poussé de grands cris de joie probablement aussi peu mélodieux que les aboiemens d’un chien. Que voulez-vous de plus ? Ce n’est pas la faute de l’homme fossile si ses ébats chorégraphiques rappellent certains quadrilles de nos bals publics. Cela prouverait seulement que nous ressemblons à nos ancêtres, et que l’excès de la civilisation nous ramène aux grâces de la barbarie.

Quant à la Guerre, du même auteur, on peut l’abandonner sans remords au ridicule. Ce buste colossal est d’une monstrueuse insignifiance. On pourrait dire qu’il ressemble à un gigantesque point d’exclamation, qui indique bien l’intention de dire une chose émouvante, mais qui ne saurait pourtant équivaloir à une pensée. La farouche déesse a l’air si bête qu’on a de la peine à la croire si méchante. La bouche ouverte en rond beugle et mugit terriblement comme le taureau de Phalaris. Des grappes de cadavres encadrent son visage en guise de pendans d’oreilles, enfilés bout à bout comme une brochette de goujons. Elle porte sur son diadème une gigantesque chauve-souris aux ailes déployées. Une rangée de mèches symétriquement frisées lui entoure la tête, et il faut au moins lui rendre cette justice, qu’elle a mis ordre à sa coiffure avant de se présenter au public.

Revenons bien vite à la sculpture florentine, dont M. Degeorge nous présente deux échantillons pleins d’agrément. Son Jeune Vénitien du XVe siècle est un buste en bronze, très fin, à l’imitation de la renaissance, coiffé d’une toque et de longs cheveux touffus, présentant de grandes analogies avec le chanteur florentin de M. Dubois. Sa Jeune Florentine, en marbre, a une physionomie plus originale et presque fatidique. Avec ses prunelles d’un creux vague et rêveur et ses coins des yeux, relevés à la chinoise, elle ressemble à certaines têtes qu’on voit fréquemment dans les faïences italiennes et dans les arabesques de la renaissance, attachées soit à une queue de poisson, soit à un corps d’hippogriffe. C’est un morceau des plus remarquables, mais c’est encore un pastiche ; allons plus loin, si nous voulons contempler une œuvre vraiment naturelle, vraiment exquise, vraiment moderne et digne d’être admirée pour elle-même, sans l’agrément artificiel de l’intérêt archéologique.

M. Hiolle va nous la fournir : c’est le buste d’une jeune femme mince, à l’encolure longue et fine, la tête un peu penchée en avant, les traits doux et délicats, le nez aquilin, la bouche triste, quoique vaguement souriante, la physionomie discrète, mélancolique et comme résignée. On sent que ce n’est pas un portrait de fantaisie, une création plus ou moins fausse d’une imagination de poète : c’est