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Dans la Haute-Hongrie et dans la Zips, contrée que traversent les Karpathes et appelée communément district des Montagnes, les historiens hongrois porteraient à 1147 la première colonisation belge. Les colonisateurs de la Zips furent-ils appelés par Hélène, femme de Geiza II, roi de Hongrie? Étaient-ils les débris des croisés qui, avec Conrad et Louis VII, voulurent aller en Palestine? ou bien n’étaient-ils, comme ceux d’Erlau, que de simples marchands? Les historiens ne peuvent constater que leur existence, ils les appellent Flandrenses, Saxones; ils nomment vingt-quatre villes qu’ils habitaient. M. de Borchgrave ne néglige aucun détail qui puisse préciser ses recherches; il interroge les récits allemands et hongrois, les légendes locales, une des bonnes sources de la géographie historique. Un seul document établit qu’il y avait des Flamands au XIIe siècle dans le district de Batar; il l’exhume, et complète ainsi les données que l’on possède sur le sujet.

Plus nombreux furent les colons qui s’arrêtèrent en Transylvanie au XIIe siècle. Lorsqu’on arrive aux versans orientaux du 4binsgebirge, la vallée s’abaisse graduellement pour laisser passer l’Aluta, affluent de gauche du Danube; cette déchirure s’appelle le Défilé de la Tour-Rouge. C’était la route indiquée au commerce de l’Europe et de l’Orient; aussi est-il sûr que ce fut le commerce qui amena les Flamands en cet endroit. La colonie dut toutefois ses développemens au zèle des cisterciens, des bénédictins et des prémontrés. Les ordres religieux s’étendaient partout alors en Europe; il est curieux de les voir pénétrer jusque dans les Karpathes, et encourager ceux qui leur semblent dans ces régions sauvages les plus industrieux, les plus aptes à propager la civilisation. M. de Borchgrave sait les noms de bon nombre de ces colons; et comme cette fois la colonisation doit durer et que les Flamands obtiennent des chartes conservatrices de leurs privilèges, par exemple la bulle d’or d’André II, roi de Hongrie, il est plus à l’aise pour citer les documens. On doit le remercier de s’être livré à d’aussi actives recherches, recherches d’un patriote érudit, et qui ajoutent une petite pierre à l’édifice de l’histoire. Ces colonies limitrophes ont été morcelées et absorbées par les invasions des Magyars, des Kumans, des Petchenègues, comme le flot montant ronge et détruit petit à petit les bords de la Seine voisins de la mer; les rares débris qui ont surnagé se sont fondus avec le gros de la population dominante. Deux choses pourtant ont subsisté, qui rappellent le souvenir de cette lointaine colonisation : les habitans de la 4ps parlent aujourd’hui une langue qui se rapproche extrêmement du flamand, et avec ceux du Burzenland, situé à l’extrémité de la Transylvanie, des descendans probables aussi d’une colonie belge, ils ont gardé les mœurs douces, aimables, hospitalières, de la mère-patrie.


A. BOURGOUIN.


G. BULOZ.