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de la partie; il n’y a pas la moindre trace, pas un mot de passion. Soit que M. Dumas se défie de ses forces, soit qu’il ait eu peur des habitudes de son talent, il ne nous a pas montré une fois M. de Birac avec Mme de Terremonde. Non, ce n’est pas là un homme qui aime; c’est un homme qui achète une femme. Les 2 millions qu’il donne en sont une preuve palpable. On l’a bien pu voir aux murmures qui ont accueilli ses paroles, quand il ose dire à sa femme dans la dernière scène : « Vous la calomniez, je dois la défendre. » Il veut dire apparemment que tout ne peut pas finir ainsi, et qu’il ne veut pas perdre entièrement ses 2 millions. Vous voyez bien que tout doit recommencer, et qu’il n’y a pas de dénoûment. Ni lutte réelle, ni solution; mais un rôle touchant, passionné, admirablement joué, du moins tel qu’il est écrit, par Mlle Desclée, voilà le drame nouveau de M. Dumas. Ce rôle est toute la pièce ; une simple analyse suffit pour montrer que les autres agissent peu; sans la princesse George le drame n’existe pas.

Si l’absence de combats soutenus de part et d’autre donne à penser que l’auteur n’a pas apporté à la cause de la femme légitime une conviction assez décidée, le doute augmente encore quand on songe aux ressources qu’il emploie pour amuser les curiosités complaisantes. C’est ici que la Princesse George, toute remplie qu’elle semble de l’idée du mariage, se rattache étroitement à une Visite de noces et à toutes les pièces du même genre dont M. Dumas a tant de peine à se détacher. Nous l’avons déjà fait entendre, beaucoup de personnes ont jugé la nouvelle pièce plus risquée encore que la précédente : celle-ci du moins bravait franchement les bienséances; la seconde prétend nous mener en bonne compagnie, et elle nous jette dans un monde dont il est impossible de répéter les discours. Quelle opinion M. Dumas a-t-il donc de son public? et à quel point celui-ci l’a-t-il gâté, pour qu’il ait à supporter de sa part de telles fantaisies? Il n’est pas rare aujourd’hui que l’on divise un auditoire en deux parts et que l’on offre à chacune l’aliment qui est supposé lui plaire. On dirait que l’auteur a écrit le drame de la femme légitime, dans le premier acte, qui est le meilleur; le troisième qui est le moins bon serait pour les femmes auprès desquelles il voulait rentrer en grâce. En revanche il aurait ménagé le second acte pour amuser les maris, qui sans doute lui paraissent peu faits pour s’amuser aux billevesées des sentimens sincères et profonds. Qu’il nous pardonne de le lui dire : il a parfois de singulières idées, M. Dumas! N’affirme-t-il pas dans la préface de la Dame aux Camélias « qu’il a dévoilé le secret de tous? » C’est à peu près la pensée de Beaumarchais. Un tel souvenir n’est pas désobligeant, je pense. L’auteur du Barbier de Séville nous a laissé un autre mot que M. Dumas a pris au pied de la lettre : « Qui dit auteur dit oseur, » cependant

Sur l’exemple des gens quand on veut se régler,
C’est par les bons côtés qu’il leur faut ressembler.