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du vice son élément, qui ne recule devant rien pour se satisfaire, qui ne s’en cache pas, puisqu’elle prend plaisir à le raconter dans une soirée à un notaire. A quoi se réduit cette lutte? La princesse George ne se doute de rien, ne sait rien, ne voit rien par elle-même : les domestiques sont chargés de l’instruire, de la faire agir; les domestiques et un notaire, qui tient lui-même quelque chose de la domesticité, font la destinée du maître et de la maîtresse de la maison. Tel est le train des choses dans le monde que prétend nous décrire l’auteur. Le mal est déjà fait quand la princesse est entrée en défiance. Elle a su par sa femme de chambre que le prince de Birac est allé à Rouen, où rendez-vous lui était donné par la belle Mme de Terremonde. M. Dumas excelle dans ces sortes de narrations; pourquoi en inventer d’autres? Elle apprend par son notaire que M. de Birac s’empare de deux millions de sa fortune à elle pour les donner à cette femme; consentir à cette spoliation, c’est se montrer généreuse, ainsi qu’il convient à une héroïne de roman, c’est moins que jamais lutter, puisque ces deux millions ne lui arrachent pas un regret. Elle saisit un billet de son mari encore par les soins de son notaire, qui en est instruit lui-même grâce à un domestique. Alors elle prend à part la comtesse dans sa propre maison pour lui dire tout bas : « Va-t’en » ’à quoi la comtesse répond : « Adieu. » Pour être juste, n’oublions pas de dire qu’elle dévoile à M. de Terremonde la conduite de sa digne épouse. Ce n’est peut-être pas de bonne guerre, c’est de la guerre pourtant, et lorsqu’il lui demande le nom de l’amant: « Cherchez! » dit-elle. Le mot est beau; mais cela ne suffit pas pour faire un drame.

Voilà tous les combats fournis par cette femme pleine de courage en paroles. Un moment on a pu croire que la lutte dramatique s’engageait au moins dans le cœur de la princesse. Elle a été avertie par un domestique que M. de Terremonde s’est embusqué à la porte de chez lui pour tirer sur l’amant qui viendrait à la franchir. Dira-t-elle ou non à son mari le sort qui l’attend? Qu’elle se taise, et la voilà vengée de ses mensonges répétés, de ses perfidies, de ses lâchetés. Un coup de pistolet retentit; c’est un autre amant de Mme de Terremonde qui est frappé. Celui-là est bien la plus innocente entre les victimes que firent jamais les auteurs dramatiques dans l’embarras. Il n’avait rien obtenu, si ce n’est, pour la première fois, un rendez-vous qui est un piège. Que signifie ce coup de pistolet? Nous ne demandons pas, suivant la formule banale, que le vice soit puni et la vertu récompensée, nous exigeons seulement que le drame ait une fin logique. M. de Birac sait désormais qu’il était trompé par sa maîtresse. Je ne suis pas sûr qu’une Mme de Terremonde ne lui fasse pas prendre ce guet-apens pour un sacrifice qu’elle a fait accomplir en vue de le sauver. Je suis certain du moins que M. de Birac détrompé ne cessera pas d’être aveugle. Nous sommes à l’heure de minuit : ne voyez-vous pas que tout va recommencer demain matin? Entre Mme de Terremonde et M. de Birac le cœur n’est pas