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matière! Que dire de cette plaisante excuse d’une femme qui a sur la conscience une kyrielle d’amans? « Oh! cœur humain! corps humain! Mystère! — La nature humaine a ses évolutions successives, et Dieu a eu la prévoyante bonté, voulant nous amener jusqu’à la mort sans trop de fatigue pour nous, d’échelonner tout le long de la route certains étonnemens, certaines surprises qui nous redonnent envie de vivre au moment où nous ne nous croyions plus bons qu’à mourir. » Que pensez-vous de cette idée de Dieu échelonnant des surprises pour ces dames? Il y en a, et ce ne sont pas les moins avisés, qui prétendent que M. Dumas se moque. Nous croyons à sa bonne foi, et nous tenons ces paroles et bien d’autres du même genre pour sérieuses.

Nous n’hésitons pas à nous ranger au nombre de ceux qui regardent la Princesse George comme un effort tenté par l’auteur pour offrir une revanche aux bons sentimens. Les applaudissemens à peu près unanimes accordés au premier acte prouvent que le public a rendu justice aux intentions primitives de l’auteur. Une femme honnête et fidèle réclamant les droits qui lui appartiennent, laissant un libre cours aux plaintes de sa dignité offensée, et cependant incapable de soutenir le combat contre un mari qui la trompe, parce qu’elle est moins forte que son amour; voilà une situation vraie, touchante, à laquelle nous félicitons M. Dumas de s’être livré d’abord. Il a trouvé là des mots d’une véritable éloquence. Il faut seulement que cette situation se développe en se transformant, qu’elle ne s’affadisse pas en des redites qui ne font que l’affaiblir. D’autre part, il faut bien songer que tout le monde n’est pas disposé à se laisser gagner par cette entrée en matière du genre honnête, peu familier, nous l’avouons, aux comédies de M. Dumas. Que cette revendication de la morale et des attachemens légitimes produise une lutte sérieuse, les spectateurs qui demeurent sur la réserve seront bien obligés de se rendre. Ils ne craindront pas d’être dupes quand ils verront que l’auteur s’est engagé de bon cœur et avant eux dans cette voie où le premier acte les invitait à entrer; mais si par hasard cette belle énergie de la femme légitime ne produisait rien, si, dans le combat des bons et des mauvais sentimens, l’auteur restait, ce qu’il paraît être trop souvent, un sceptique, si, entre telle manière de sentir et telle autre tout opposée, il avait l’air de tirer son épingle du jeu, s’il continuait comme par le passé et plus peut-être que par le passé de recourir à ses moyens de succès faits pour un autre monde, que pourrait-il en résulter si ce n’est qu’il donnerait raison à ceux qui se seraient défendus des émotions pathétiques du commencement? Nous craignons bien qu’il n’en soit ainsi de l’impression définitive de la pièce nouvelle.

A quoi se réduit en effet la lutte de la princesse George de Birac contre cette Mme de Terremonde qui est son amie on ne sait pourquoi? car il est impossible de comprendre comment cette femme si vaillante dans la vertu aime, voit tous les jours et tutoie une créature ayant fait