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Le nouveau ministre des affaires étrangères de l’empereur François-Joseph était dans une situation plus délicate vis-à-vis de la Russie. Le parti allemand de l’Autriche, croyant être fort habile, et les journaux russes du parti panslaviste se sont empressés de représenter l’avènement du comte Andrassy comme une menace pour la Russie. L’envoyé du tsar à Vienne, M. de Nowikof, semble avoir éprouvé lui-même au premier instant une certaine inquiétude qu’il n’a pas déguisée. Le comte Andrassy ne s’est point ému, il a marché droit sur la difficulté pour la faire disparaître. Le grand-duc Michel se trouvait justement de passage à Vienne en ce moment ; un des premiers actes du comte Andrassy a été de rendre une longue visite au grand-duc, puis de paraître dans une soirée donnée par M. de Nowikof. Il a fait des frais de séduction, et ces ombrages, qui commençaient à poindre, se sont dissipés pour le moment. Il est bien certain qu’en fait de politique extérieure les vues du comte Andrassy sont tournées surtout vers l’Orient, et que là peut toujours éclater l’antagonisme de l’Autriche et de la Russie ; mais ce n’est point la question la plus pressante : la question pour l’Autriche aujourd’hui, c’est de vivre et de se reconstituer, et cette question suprême se débat dans l’intérieur de l’empire.

Bien que d’après la constitution de l’empire, telle qu’elle existe, le nouveau ministre des affaires communes n’ait rien à voir directement dans les pays qui forment la Cisleithanie, il n’aura pas moins certainement une influence décisive par son esprit politique aussi bien que par l’ascendant dont il jouit auprès de l’empereur, qui s’est confié entièrement à lui. Or ici le comte Andrassy paraît arriver avec des idées très nettes, très arrêtées sur toutes ces questions intérieures qu’il trouve devant lui ou qui s’agitent à côté de lui. Sa pensée depuis 1868 est que le régime constitutionnel ne peut se maintenir que par l’entente des Hongrois, des Allemands et des Polonais. Il est convaincu que le parti centraliste allemand, qui ne représente que la bourgeoisie libérale des villes, c’est-à-dire incontestablement une minorité, et qui a contre lui les Slaves, les fédéralistes, les catholiques, l’empereur lui-même, ne peut prétendre gouverner seul. Pour qu’un ministère cisleithan quelconque ait une majorité réelle, pour que le Reichsrath lui-même puisse se réunir et fonctionner avec une certaine efficacité, il faut que les Allemands finissent par s’entendre avec les Polonais en faisant à ceux-ci des concessions raisonnables. Le premier point du programme du comte Andrassy, c’est donc un accord avec la Galicie, et ce programme, accepté avec empressement par l’empereur lui-même, s’impose nécessairement aujourd’hui aux hommes chargés de la direction des affaires dans la Cisleithanie. C’est pour avoir reculé devant cette politique que le baron Kellersperg, appelé d’abord à former un cabinet, a définitivement échoué. Le baron Kellersperg voulait s’appuyer exclusivement sur le parti allemand centraliste, qui, s’exagérant ses forces et se croyant maître de la