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des révolutions, c’est celui où l’on aime le moins les réformes, et le service de santé militaire est resté à peu près tel qu’il était au 6 février 1836 : cette situation ne saurait se prolonger plus longtemps. Il appartiendrait sans doute à nos collègues militaires de traiter cette question de la réorganisation du service chirurgical d’armée ; malheureusement ils ne pourraient l’aborder sans mettre en cause leurs supérieurs hiérarchiques, nous voulons dire l’intendance : le respect de la discipline, la prudence même, leur conseillent le silence. Aussi n’est-ce qu’après avoir atteint l’âge de la retraite que M. Chenu a publié, comme annexe à son compte-rendu de la campagne d’Italie, les documens si accablans pour l’administration qui sont relatifs à celle de Crimée, car, lors de la publication de son important rapport sur l’armée d’Orient, il était encore en activité et soumis à l’intendance militaire. Pour nous, c’est sans préoccupation de cette sorte que nous abordons cette étude ; il nous sera beaucoup plus pénible de dire que, dans les réformes à opérer, c’est chez notre ennemi d’hier que nous trouvons surtout des exemples à suivre. Si nous faisons la critique du régime sanitaire de la France, ce sera dans le seul espoir de l’éclairer sur ses vrais besoins.


I

En 1858, l’étude de certaines opérations pratiquées avec succès en Angleterre, mais jusque-là peu connues et systématiquement repoussées en France, nous ayant conduit à rechercher quelle était comparativement dans les hôpitaux de Paris et de Londres la mortalité qui suivait les amputations, nous dûmes reconnaître avec douleur l’infériorité de nos résultats. Il fallait en découvrir les causes et, s’il était possible, le remède. Parmi ces causes, la plus puissante était une différence considérable dans la construction, l’aménagement, la tenue des hôpitaux, le nombre proportionnel des malades réunis dans un même espace, le régime auquel ils étaient soumis, enfin dans tout ce qui constitue ce que nous avons appelé l’hygiène hospitalière. Or, si nos hôpitaux sont sous presque tous les rapports inférieurs à ceux de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la Russie, cela tient à ce que nos médecins et nos chirurgiens ne peuvent pas appliquer, même à ceux auxquels ils sont attachés, les améliorations que leur indique la science ; cela tient à ce que ces médecins n’ont pas même voix consultative dans les choses qui sont de leur compétence exclusive ; cela tient à ce que l’élément administratif prime partout en France l’élément médical, et nous réduit à l’impuissance.

Ce qui existe pour la chirurgie civile existe malheureusement, et d’une manière plus marquée encore, pour la chirurgie militaire :