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vécu, il y a en vérité bien autre chose à faire aujourd’hui, et l’assemblée n’a pas trop de toutes ses forces, de son bon esprit, de son patriotisme pour accomplir l’œuvre qui s’impose à elle, qu’elle ne peut plus désormais éluder. Il y a le prochain budget à préparer, — un budget normal qui ne s’élèvera pas à moins de 2 milliards 750 millions, — et plus de 200 millions d’impôts nouveaux à trouver après ceux qui ont été votés dans la session dernière. Il y a la situation de la Banque à étudier, et le chiffre de sa circulation fiduciaire à augmenter, de façon à tempérer au moins les malaises d’une crise monétaire qui n’en est plus à se produire, qui ajouterait à toutes nos difficultés, si on n’y portait quelque remède. Il y a l’organisation de l’armée, sur laquelle M. le président de la république et l’assemblée ont visiblement des idées différentes qu’il s’agit de concilier en refondant les propositions du gouvernement et les propositions de la commission parlementaire dans un projet unique. Il y a la loi sur l’instruction primaire, dont M. Thiers ne parle pas, que M. Jules Simon n’a point présentée encore, et au sujet de laquelle on peut lire avec fruit un discours d’une éloquence hardie et élevée que le chancelier de l’échiquier d’Angleterre, M. Lowe, prononçait récemment au Mechanic’s institute d’Halifax. Il y a enfin ce qui est dans la réalité de la situation sans être dans le programme de M. Thiers, ce que M. le président de la république n’a pu prévoir et que les événemens de tous les jours peuvent imposer à chaque instant. Ah ! si pour résoudre toutes les questions qui se pressent devant nous, en face desquelles les volontés les plus fermes s’arrêtent quelquefois étonnées et intimidées, si pour résoudre ces questions il suffisait de décréter la république définitive ou le rétablissement d’un roi, nous n’affirmons pas que ce problème de la reconstitution d’un peuple serait encore des plus faciles. Ce serait au moins assez simple au premier abord : il n’y aurait qu’à rassembler la nation française autour de l’urne fatidique, autour de la boîte à surprises, en l’engageant à mettre un mot, un tout petit mot, sur un bulletin ; tout serait dit. Et après ? Parce que la république serait définitivement proclamée aujourd’hui, serait-elle plus certaine de vivre demain ? Parce qu’on aurait rétabli sans plus tarder un roi, la monarchie serait-elle mieux garantie contre des révolutions nouvelles ? C’est qu’en effet, avant tout, c’est la France qui est à relever, à refaire dans son tempérament moral en quelque sorte aussi bien que dans son organisation publique, — et ici les partis ont beau faire, ils sont impuissans par leurs propres divisions, par leur multiplication autant que par la force d’une fatalité supérieure qui les domine. Celui qui triompherait seul aurait tous les autres contre lui, et il laisserait la France divisée en face de cette fatalité supérieure qui a un nom douloureusement connu, qui s’appelle l’étranger, campé dans nos provinces pour plus de deux années encore.

La raison d’être la plus évidente du régime actuel et ce qui fait sa