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les radicaux, peut-être même par quelques légitimistes, complices fort inattendus de leurs haines, et c’est ainsi que l’esprit de parti se sert de tout, se joue de tout, prodigue les exagérations, propage les défiances, pour arriver simplement à une confusion dont il espère profiter.

M. Thiers l’a dit l’autre jour à l’assemblée avec le sentiment sérieux de la vérité des choses : « le pays dans son ensemble, sauf quelques exceptions peu nombreuses, le pays est sage ; il sent ses malheurs, veut les réparer… Les partis seuls ne voudraient pas être sages ; c’est d’eux, d’eux seuls qu’il y a quelque chose à craindre, c’est d’eux seuls qu’il faut vous garder, contre lesquels il faut vous armer de sang-froid, de courage, d’énergie. » Rien n’est plus vrai que ce contraste, signalé par M. le président de la république entre un pays qui sent son mal, qui ne demanderait pas mieux que d’être sauvé de ses propres incertitudes, qui n’aspire qu’à retrouver son activité sous un gouvernement prévoyant, et des partis qui s’agitent, qui se démènent, fatiguant la France de leurs ambitions impuissantes. Ils ne comprennent pas, tous ces partis extrêmes, nés de toutes les révolutions, que pour le moment ils ne peuvent rien comme partis, que leurs passions, leurs préjugés ou leurs impatiences jurent en quelque sorte avec une situation nouvelle. Ils ne peuvent que se livrer des combats qui sont tout au plus des diversions dangereuses ou inutiles. On vient de le voir dans un des derniers incidens de l’assemblée. Au moment où il s’agit de savoir si on aura le temps de préparer le budget de 1872 avant le 1er janvier et si on sera obligé de recourir à l’expédient des douzièmes provisoires, survient un député de l’extrême droite, M. Dahirel, qui s’élance à la tribune pour rappeler, au cas où on l’aurait oublié, qu’on ne sera sauvé que par la royauté légitime. Les républicains répondent naturellement par la proclamation de l’éternité de la république, et un député de la gauche, M, Langlois, s’écrie impétueusement à son tour : « le provisoire, c’est le définitif, et c’est le définitif qui serait le provisoire. » Ce que dit M. Langlois est bien possible, c’est dans tous les cas le résumé des mobilités de nos révolutions. Et à quel propos cette escarmouche plus bruyante que sérieuse ? À propos de quelques joyaux de la couronne qu’un économiste prévoyant propose d’aliéner pour nous faire des ressources, et dont le produit ne grossira pas sans doute notablement le budget, d’autant plus qu’on réserve les objets qui ont un intérêt pour l’histoire ou pour l’art, et qu’en fin de compte on ne vendra probablement rien du tout. N’importe ! c’est le moment de mettre en présence la république et le roi. Là-dessus, on perd quelques heures à s’échauffer, puis à voter, et au demeurant tout s’évanouit. Il n’y a que du temps perdu et des passions inutilement ravivées.

C’est fort bien de disputer sur le provisoire et le définitif. A quoi cela répond— il toutefois en ce moment ? Pendant qu’on se défie, pendant qu’on s’évertue à relever tous les drapeaux sous lesquels la France a