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s’arrête avec une sorte de surprise et se demande si toutes ces choses dont il vient de parler, la diplomatie, l’armée, l’administration, les finances, ne sont pas de la politique. Assurément c’est la vraie politique et la meilleure, puisque seule elle peut offrir un terrain d’action commune à toutes les volontés honnêtes et sincères. C’est justement le mérite du message de s’arrêter là où finit cette politique, là où commence le domaine des conflits orageux, des agitations infécondes. Tout ce qui peut aigrir ou diviser, il l’omet volontairement, par une préméditation de patriotisme ; il donne un exemple de prudente réserve qui devrait servir de mot d’ordre. Quant à toutes ces questions sérieuses, pratiques, de finances, d’administration, d’organisation militaire, que M. le président de la république traite avec sa supériorité séduisante, sur lesquelles on l’accuse de se prononcer avec trop d’ardeur, elles ne sont pas nécessairement résolues par un message ; elles restent livrées à la discussion, qui, entre des hommes également dévoués à leur pays, amène toujours des transactions profitables. Puisque ces questions sont là, pressantes, impérieuses, il serait au moins étrange, on en conviendra, que celui qui porte le fardeau des affaires, qui remplit ce grand devoir du gouvernement dans les heures les plus difficiles, que celui-là seul n’eût point le droit de dire son opinion avec toute l’autorité d’une expérience fortifiée par l’étude, d’une conviction relevée par la vivacité d’un esprit toujours jeune. — On confond les temps. Le message de M. Thiers est un programme, ce n’est point un ukase. M. le président de la république expose ses idées avec sa lucidité merveilleuse et son entraînante éloquence, il ne les impose pas, et, s’il laisse entrevoir le souci de sa responsabilité, ce n’est point à coup sûr pour mesurer un dévoûment nécessaire au pays, ou pour enchaîner la liberté parlementaire. Il avertit, il dit franchement et nettement son opinion sur des intérêts publics qu’il a étudiés avec passion, qu’il met au-dessus de tout, qui devraient avoir toujours la première place dans l’esprit de ceux qui ont la généreuse préoccupation de l’avenir de la France.

Ce qui fait notre malheur, ce qui est notre danger, ce n’est point que des questions comme celles que soulève le message soient discutées sérieusement et même vivement. Il n’y a au contraire que des garanties pour le pays dans ces sincères et fortes contradictions, dans ces échanges d’idées ou ces émulations qui s’établissent entre un gouvernement intelligent et une assemblée bien intentionnée poursuivant ensemble le même but. Notre danger et notre malheur, c’est cette impatience brouillonne, souvent coupable, qui se détourne justement des plus hautes questions d’intérêt public pour se jeter dans toutes les luttes irritantes, qui se plaint sans cesse des inquiétudes et des agitations qu’elle s’ingénie elle-même à propager, qui trouble le peu de sécurité que nous avons sous prétexte de nous donner un régime définitif, — qui fait des affaires de tout, du moindre incident, de l’entrée des princes d’Orléans