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et leur langue est de très près apparentée au breton armoricain[1]; or la population du pays de Galles est une des plus instruites de l’Europe. D’où vient cette différence entre ces deux branches de la race celtique? On a dit souvent que les Gallois devaient leur supériorité intellectuelle au protestantisme, qui met la lecture de la Bible (et par suite l’instruction primaire) au premier rang des devoirs du chrétien, tandis que le catholicisme, sans défendre précisément la lecture, ne fait rien pour l’encourager. Il y a quelque vérité dans cette observation ; mais il y a autre chose encore. Ce qui a permis à l’instruction de se répandre si promptement et de jeter des racines profondes dans le sol gallois, c’est qu’elle avait pour véhicule et pour organe la langue même du pays, le gallois; on n’avait pas établi, comme première condition de l’éducation populaire, que ce pays devait d’abord, par une sorte d’isomorphisme linguistique, abandonner sa langue et ses mœurs, pour adopter celle de l’état auquel il appartient, — celle de l’Angleterre. A supposer qu’on eût réussi dans cette tâche de dénationaliser le pays de Galles, combien de générations intermédiaires eussent été sacrifiées ! C’eût été d’ailleurs sans profit pour l’unité britannique, car il n’est pas inutile de remarquer que les Gallois, qui ont conservé leur langue et leur littérature nationale, sont de fidèles sujets de la reine Victoria, tandis que les Irlandais, qui laissent avec indifférence périr leur langue et leur littérature, qui sont devenus Anglais par la langue et par les mœurs, sont rebelles jusqu’au fond de l’âme. La prépondérance de la culture française a empêché qu’il en fût de même en Bretagne qu’en Galles; en effet, les deux pays ont cela de commun, que pour tous deux, — le pays de Galles par la conquête, la Bretagne par l’union personnelle sous le mari de la duchesse Anne de Bretagne, — la réunion à un état de race et de langue différentes a entravé leur développement national. Il n’y a nul danger aujourd’hui, ni pour l’Angleterre, ni pour la France, à voir le fil de la tradition se renouer. La France même y semble intéressée. La population bretonne, devenue française par les liens de l’affection comme par ceux de la politique, a droit, sous un régime de suffrage universel, à sa part d’instruction; mais en Bretagne la classe moyenne, de qui devrait venir l’initiative, ignore ou plus souvent, ce qui est pis encore, dédaigne le breton, et rougirait de s’en servir autrement que pour adresser la parole à une servante ou à un garçon de ferme. D’autre part, bien des gens au nom de l’unité française s’opposent

  1. Voyez notre article sur le Pays de Galles dans la Revue des Deux Mondes du 1er mars 1871.