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s’organise au camp de Conlie, que la campagne se poursuit sur la Loire avec peu de succès pour nos armes, les chansons et complaintes bretonnes se multiplient. C’est par exemple une ballade sur le combat de L’Hay, une autre sur « la capitulation infâme » de Metz, où le maréchal Bazaine est traité de second Judas Iscariote, ce sont des complaintes et des chansons sur le départ des mobilisés pour le camp de Conlie.

Toute la jeunesse bretonne était à la guerre, et il n’était manoir ni chaumière qui n’eût un de ses enfans combattant sous la bise et sous la neige, dont le sort incertain, attaché à celui de la France, entretenait les longues causeries d’hiver. Ce sentiment d’inquiétude et de tristesse nous semble assez bien exprimé dans une poésie d’un des meilleurs écrivains de la Bretagne bretonnante, un vrai poète, M. Luzel.


NOS FRÈRES A LA GUERRE.

« Le soir, je vais me promener — sur la route ou dans l’avenue, — et, tourné du côté de l’est, — je me dis en moi-même :

« C’est là-bas ! là-bas nos frères — (ô temps de malédiction et de malheur!) — sont à une guerre effroyable, — tous les jours au feu et dans le sang!

« Ils ont tout délaissé en même temps: — parens, amis, patrie; — pleins de courage, ils sont allés à la guerre — pour leur foi et la Basse-Bretagne ;

« Pour que la loi soit respectée, — pour que puisse faire sa prière — tout bon Breton, dans sa vieille église, — avec tous les enfans de sa paroisse;

« Pour que ce ne soit pas l’ennemi, — après notre mal et notre travail, — qui récolte le blé de nos champs, — et aussi les fruits de nos jardins;

« Pour qu’il y ait du pain dans chaque maison — pour nos enfans, en tout temps, — pour que tout n’y soit pas détruit, — brisé, foulé aux pieds, incendié!

« Ils sont partis sans peur de la mort, — pour leurs parens, leur foi, leur patrie, — et pour tout cela tout bon Breton — sans regrets répandra tout son sang!

« Coucher la nuit sur la terre nue, — à la clarté des étoiles et de la lune, — marcher sous la pluie et la neige, — et manger peu après cela;

« Exposer tous les jours sa vie, — être abandonné dans un fossé, — ou, ce qui est pis encore, — être estropié à tout jamais...

« Quand je songe à cela, mon esprit — est frappé d’horreur et d’é-