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établit que tous les revenus de 1,500 francs à 3,000 francs seront exemptés de la taxe jusqu’à concurrence des premiers 1,500 fr. ; c’est une véritable anomalie : toutes les parties d’un revenu jugé suffisant, du moment qu’on entre dans cette voie si délicate d’une évaluation du nécessaire, doivent également payer. En faisant disparaître cette exemption, que rien n’autorise, le trésor gagnerait beaucoup, vu le grand nombre de ces revenus moyens, ce qui faciliterait la réduction ou l’abolition des taxes les plus justement critiquées. Le projet de loi dispense les salariés de l’impôt des revenus. Cette exemption ne se justifie pas suffisamment. En quoi le titre de salariés est-il une exclusion ? On fait payer un petit patenté, on fait payer un commis d’administration, et un salarié qui gagne de 8 à 15 francs par jour ne sera pas soumis à la taxe ! Étant donné le principe d’un tel impôt, le chiffre ne devrait-il pas en être abaissé de telle sorte que tout le monde le payât, sauf les indigens ? Aucune objection ne serait possible, si cet impôt n’était pas établi de manière à faire double emploi, c’est-à-dire n’atteignait pas des choses déjà frappées par d’autres taxes, — par exemple s’il se combinait avec des suppressions comme celle de l’impôt personnel et mobilier. En ne modifiant rien, nous comprenons qu’on hésite à atteindre par de nouveaux impôts des hommes dont les ressources sont fort limitées et qui paient déjà de tant de façons ; il n’est pas moins permis de voir dans ces masses d’exemptions l’indication qu’on est dans une voie fausse et illogique. Les Anglais n’ont pas commis cette inconséquence qui consiste à exempter le travail aisé et à atteindre le capital pauvre ; chez eux, c’est le chiffre du revenu qui décide de l’impôt, et non pas la source de ce même revenu. On n’a pas eu l’idée d’établir une séparation profonde sur la distinction des salaires du travail et des profits du capital, distinction qui devrait n’avoir rien à faire dans ces questions de taxe, où le seul principe est que chacun paie selon ses facultés.

En France le total représenté par les salaires est énorme. En voici une idée. On compte environ 3,500,000 journaliers agricoles (hommes et femmes réunis) ayant à leur charge deux millions six ou sept cent mille personnes, ce qui donne, pour eux et leur famille, un peu plus de six millions d’individus. Le salaire moyen du journalier agricole serait (d’après le rapport sur les chemins vicinaux présenté en 1858 par le ministre de l’intérieur), pour les hommes de 1 fr. 75 centimes par jour, pour les femmes de 85 cent, (selon la statistique agricole officielle), — ce qui, à raison de 200 jours de travail pour les hommes et de 120 jours pour les femmes, donnerait à l’année une moyenne de 350 francs par homme et de 102 francs par femme. En décomposant le chiffre ci-dessus en 2 millions d’hommes et 1,500,000 femmes, leur