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naturels encore en activité sous nos yeux, et pour ces notions générales un petit nombre de leçons claires, méthodiques et surtout vivantes suffisent. Dans toute l’Union, il n’existe encore qu’une quarantaine d’écoles normales, ce qui n’est rien en présence des cent mille instituteurs qui entrent chaque année dans la carrière. On ne peut songer à les former tous dans des établissemens pédagogiques spéciaux, comme on fait en Europe, où le renouvellement est dix fois moindre. Il faudrait, ainsi que le propose le surintendant du Massachusetts et qu’on l’a fait en Autriche, charger un maître des écoles supérieures de donner un cours de pédagogie et faire enseigner les aspirans-maîtres sous sa direction dans une école primaire annexée. Les conférences d’instituteurs (teacher’s institutes), qui se multiplient chaque année et dont les excellens résultats sont constatés, achèveraient de les préparer. Cela suffirait pour la masse; mais il faudrait néanmoins augmenter encore le nombre des écoles normales pour former des instituteurs modèles qui donneraient le ton et l’exemple aux autres.

M. de Tocqueville pensait que l’étude des langues anciennes était surtout utile aux nations démocratiques, parce qu’elle contre-balance les défauts qui leur sont particuliers. Les Américains, qu’on accuse de ne poursuivre que l’argent, ont toujours attaché un grand prix aux études classiques. La première loi scolaire du Massachusetts, qui date de 1647, ordonnait à toute localité contenant 100 familles d’entretenir une école supérieure où le latin et le grec seraient enseignés de façon à préparer les jeunes gens à l’université. Voilà le niveau où les puritains voulaient porter l’enseignement il y a deux siècles. Leur esprit anime encore la société américaine tout entière. Le Massachusetts, qui comptait en 1870 1,459,000 habitans, — moins que les deux départemens réunis du Nord et du Pas-de-Calais, — avait plus de 100 écoles où l’on enseignait les langues anciennes. Presque toutes les femmes qui font des études supérieures les apprennent et s’y distinguent. Il y a plus, on les enseigne jusque dans les écoles d’agriculture et dans les écoles commerciales. Aussi dans le Commercial university de Chicago, outre les langues modernes, le latin et le grec ont leurs chaires. L’étude des langues anciennes est, il est vrai, commencée trop tard et menée trop rapidement, étouffée qu’elle est par celle des sciences naturelles; mais le mal est reconnu, et on y porte remède.

« Si l’on me demandait, dit Tocqueville, à quoi je pense qu’il faille attribuer principalement la prospérité singulière et la force croissante de ce peuple, je répondrais que c’est à la supériorité de ses femmes. » On ne peut se figurer tout ce que font les Américains pour fortifier l’instruction des jeunes filles. Il faudrait un livre pour