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damner un homme à la potence, nous avons à plus forte raison le droit d’envoyer un enfant à l’école. Le nombre des jeunes criminels augmente plus vite que notre richesse. Il faut tarir cette source de désordre qui menace notre avenir. Si vous ne voulez pas forcer tous les pères à instruire leurs enfans, préparez-vous à agrandir vos prisons. »

Mais n’est-ce pas porter atteinte à l’autorité paternelle? Non, répond-on, le père, qui ne peut laisser mourir ses enfans de faim, peut encore moins priver leur esprit de la nourriture spirituelle, qui leur est indispensable pour accomplir leur destinée et pour ne point troubler l’ordre social. «Le père, dit le surintendant du Connecticut, qui pour tirer profit du travail de ses enfans les prive d’instruction commet un délit que la loi pénale doit réprimer. Il vole ses enfans en leur enlevant les moyens de se développer, et il vole l’état en le privant de la puissance, de la richesse, de la sécurité qu’apportent les citoyens intelligens, vertueux et instruits. »

L’opinion se forme rapidement en Amérique, et bientôt l’enseignement obligatoire sera décrété pour tous les états. Déjà il existe dans le Massachusetts et le Connecticut, et parmi les anciens états à esclaves les deux Carolines viennent d’inscrire le principe dans leur nouvelle constitution. L’exemple de l’Angleterre, où successivement toutes les grandes villes proclament l’obligation[1], stimulera encore le zèle des Américains. La seule considération qui arrête encore quelques-uns, c’est qu’il leur semble absurde d’imposer ce qui devrait être recherché par tous avec ardeur. Les pasteurs des différentes dénominations appuient la mesure, tandis qu’en France, le clergé s’en montre l’adversaire acharné : fâcheux contraste qui permet aux ennemis de l’église de dire qu’elle a peur des lumières. En tout cas, cela explique pourquoi l’instruction est plus répandue dans les pays protestans que dans les pays catholiques. Chez ceux-ci, l’état trouve dans le prêtre un ennemi, chez ceux-là un auxiliaire.

Un vice du système américain dont tous les rapports se plaignent, c’est le changement fréquent et le manque de préparation pédagogique des maîtres. Pour l’Américain, les fonctions de maître d’école sont rarement un état qu’on embrasse pour la vie; ce n’est qu’une étape où il ne s’arrête guère. Beaucoup de jeunes filles s’engagent pour quelques années comme maîtresses d’école, en attendant qu’elles se marient. Un spirituel et profond romancier anglais, M. Anthony Trollope, nous dit, dans son livre sur l’Amérique,

  1. Récemment un comité scolaire à Londres vient de publier le règlement qui consacré l’obligation. La Nouvelle-Zélande a décrété le même principe il y a deux mois.