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nale des travailleurs invita ses adhérens à ne point se préoccuper des régimes politiques et à ne pas se lier absolument à la forme républicaine, le socialisme pouvant faire tout aussi bien son œuvre et produire ses conséquences sous un empire que dans une république. Peu à peu cette tactique s’est modifiée. L’idée commune de révolution a rapproché et mis d’accord le radicalisme et le socialisme, les ardeurs politiques l’ont emporté, les directeurs du mouvement ont jugé que, pour consommer la rénovation sociale au profit des travailleurs, il fallait premièrement saisir le pouvoir. On a donc inscrit en tête du nouveau programme la république universelle, gouvernée exclusivement par les délégués des ouvriers. Telle est la forme sous laquelle on prépare l’avènement du prolétariat. La commune de Paris a fourni le prologue. Elle ne s’est pas contentée d’occuper l’Hôtel de Ville, où jusqu’alors s’étaient arrêtés les triomphes populaires; elle a eu la prétention d’organiser un gouvernement.

Telle est, d’après les écrits et les actes de la commune, la série presque méthodique des doctrines au nom desquelles s’est prolongée cette formidable insurrection du 18 mars. Si la prise d’armes peut être attribuée à un fatal concours de circonstances politiques et locales, on doit reconnaître que les causes de la guerre remontaient beaucoup plus haut. La revendication des franchises municipales pour Paris n’était même qu’une occasion et un prétexte, dont on a fait un mot d’ordre. Au fond, c’est le socialisme qui, battu une première fois en 1848, a livré en 1871 un second combat plus acharné et plus sanglant. Comment donc a-t-il pu, en vingt-trois années, accroître à ce point ses forces et armer tant de bras pour des doctrines irréalisables, que le raisonnement et l’expérience ont partout maintes fois réfutées? Comment s’est-il propagé si rapidement au milieu de nous? L’égalité civile règne en France dans le sens le plus absolu, l’égalité politique est consacrée par le suffrage universel, l’égalité sociale existe aussi complète qu’on peut la concevoir avec les distinctions inévitables qui se rencontrent dans toutes les réunions d’hommes, et qui renaîtraient naturellement le jour même où l’on croirait les avoir supprimées; en un mot, il n’y a plus de privilèges légaux, plus de privilèges politiques, et du plus riche au plus pauvre, du plus élevé au plus humble, la distance est presque effacée par la familiarité des mœurs. Depuis trente ans, ce qui nous restait de vieilles lois contraires à la liberté du travail a été amendé ou aboli. On a multiplié les institutions, les combinaisons bienveillantes et utiles. Le travail est devenu abondant, et les salaires, comme les profits, ont haussé. Que la misère ne soit pas supprimée, qu’il y ait beaucoup de perfectionnemens à faire, que tout ne soit pas pour le mieux, cela est certain, et le