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usage, il inclinait vers la monarchie. Ces vues me paraissent peu fondées. Un désaccord entre les représentans et leurs électeurs n’est pas à craindre. Les députés ne sont que trop portés à obéir aux vœux de ceux qui les nomment, et leur mandat ne dure pas assez longtemps pour qu’un désaccord sérieux se prolonge ; c’est là un danger imaginaire. Ensuite on ne voit pas pourquoi un président ne pourrait pas user de la dissolution aussi bien qu’un roi. Un appel au pays est utile, nécessaire même, quand il n’y a point de majorité, et qu’ainsi un ministère ne peut ni se constituer ni gouverner. Aux États-Unis, où il n’y a pas de cabinet parlementaire, la dissolution est inutile, mais elle semble indispensable pour la marche d’un gouvernement de majorité. Il ne faut pas que deux pouvoirs constitués ou deux fractions de la chambre puissent se tenir indéfiniment en échec sans un moyen régulier de sortir d’une pareille impasse ; sinon les rouages du gouvernement cessent de fonctionner, et toute la machine constitutionnelle est réduite à l’impuissance.

Le régime parlementaire appliqué sous la république me paraît exiger une réforme dont les institutions des États-Unis nous offrent l’analogue, mais qui n’est point conforme aux habitudes actuelles de l’Europe. Un défaut grave du régime parlementaire, c’est l’instabilité des ministères ; cette instabilité est surtout très fâcheuse pour certains services publics où il est indispensable de suivre pendant plusieurs années un même plan, où il est impossible d’improviser des améliorations. Je citerai principalement le département de la guerre, de l’instruction publique et des travaux publics. Pour bien gérer ces départemens, il faudrait des hommes tout à fait spéciaux, soustraits aux inquiétudes et aux vicissitudes des luttes parlementaires, assurés d’occuper leurs fonctions pendant un temps assez long. L’avantage du régime despotique sous ce rapport, c’est que, quand le souverain est assez intelligent pour faire choix d’un bon ministre, il peut le maintenir en place tout le temps qu’il faut pour faire de grandes choses. Avec le régime parlementaire tel qu’il est pratiqué en Europe, l’impuissance des ministères, qui se succèdent rapidement aux affaires, est souvent ridicule et parfois désastreuse. Voyez ce qu’ont fait en Prusse Stein et von Roon pour la réorganisation de l’armée, G. de Humboldt et von Altenstein pour celle de l’enseignement, en Russie Gortchakof pour développer les ressources de l’empire, et considérez en regard ce qui a été. fait en France ou en Angleterre. En France, depuis 1830, le département de l’instruction publique a fréquemment été aux mains d’hommes éminens, et pourtant combien les résultats obtenus ont été insignifians ! M. Guizot et M. Duruy avaient commencé d’importantes réformes ; ils ont