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religieuse l’adversaire le plus redoutable, et que, pour préparer son triomphe, il devait tout d’abord supprimer Dieu. Rien de plus instructif à cet égard que les publications fort nombreuses de la jeune Allemagne et les comptes-rendus des réunions fréquentes qu’elle tenait en Suisse, principalement à Lausanne, de 1840 à 1848. Le complot contre Dieu s’y dénonce avec un cynisme absolu. À cette époque, le parti révolutionnaire français était plutôt politique que socialiste, il se contentait d’attaquer le gouvernement sans s’inquiéter des choses religieuses et sans prendre part aux discussions mystiques et philosophiques qui agitaient les démocrates allemands; mais après 1848 les révolutionnaires français tournèrent rapidement au socialisme : ils reconnurent, d’après l’exemple de la jeune Allemagne, que le sentiment religieux est essentiellement rebelle à la prétendue régénération sociale. La commune de Paris s’est chargée d’exécuter le programme dans toutes ses parties, de fonder sur les persécutions le règne de la liberté de conscience et de couronner le matérialisme. Ce qui est grave, ce n’est pas qu’un certain nombre de sectaires aient osé, dans l’ivresse de leur éphémère triomphe, proclamer de telles doctrines et les affirmer par de tels actes; c’est qu’ils aient pu le faire impunément en face d’une population de près de deux millions d’âmes, dont une partie applaudissait et l’autre partie se résignait à ces manifestations violentes. Certes le mal est profond. Il faut presque rendre grâce à la commune de l’avoir si ouvertement révélé.

La propriété a été, dès le début, le point de mire du socialisme, qui n’a fait qu’imiter en cela l’exemple des révolutionnaires de tous les temps. Il n’y a pas en effet de recette plus sûre pour recruter des adhérens que d’exciter ceux qui ne possèdent pas contre ceux qui possèdent, d’opposer la richesse des uns à la pénurie des autres, et de subordonner le bien-être général au nivellement des fortunes. On lève ainsi ces armées de misérables que les chefs de révolutions ont toujours trouvées prêtes pour le combat. Supprimer la propriété, comme le demandaient les premiers communistes, c’était l’enfance de l’art, c’était une imprudence, car les plus pauvres aspirent à devenir propriétaires, et ils se battent à cette fin; la transformer était plus habile, parce que sous cette promesse vague on pouvait entendre la rectification d’un état de choses qui était dénoncé comme contraire à l’égalité, à la justice et à l’intérêt du plus grand nombre. Cependant cette rédaction a été perfectionnée. Il n’est plus question de supprimer ni de transformer la propriété; il s’agit maintenant de l’universaliser. Telle est la formule que la commune avait adoptée dans son programme, où l’on peut dire que tout est universel, la patrie, la famille, la propriété. On