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mérite ce nom ; mais en Suisse la compétence du pouvoir central est presque nulle. En France, elle est universelle, immense, illimitée, peut-on dire. Il faut aussi que le parlement ait un moyen légal et facile de révoquer le président, car les tentations et les encouragemens à l’usurpation ne lui manqueront pas[1]. La chambre haute devrait pouvoir le destituer sur la demande de la chambre basse.

Le président ne doit point paraître dans les chambres ; son intervention personnelle ôte toute liberté aux délibérations et l’expose à des échecs qui diminueraient son autorité et rendraient sa position difficile. Il faut qu’il se résigne à la position de haute impartialité d’un roi constitutionnel, et qu’il accepte les ministres que la majorité lui indique. Cette nécessité peut sembler dure et souffrira des difficultés dans la pratique. Aux États-Unis même, les ministres ne paraissent pas aux chambres ; ils sont plutôt des chefs de bureau, et comme tels ils ne sont point imposés par la majorité ; mais un cabinet parlementaire responsable et un gouvernement de majorité sont essentiels au régime représentatif. C’est seulement ainsi que le pays peut effectivement diriger ses affaires par l’intermédiaire de ses représentans. Il offre, il est vrai, l’inconvénient des crises ministérielles, et il fait passer l’autorité réelle aux mains du corps législatif. Aux États-Unis, le législatif et l’exécutif agissent chacun dans une sphère plus séparée, et les affaires s’administrent avec plus de suite. Le système américain a des avantages, mais je ne sais s’il fonctionnerait bien en Europe.

Le président aura-t-il le veto ? Il ne faut pas craindre de le lui accorder ; l’intérêt de sa réélection l’empêchera d’en abuser. C’est un moyen de contre-balancer l’omnipotence des chambres qu’il ne faut point négliger ; seulement, comme il peut arriver au fauteuil un homme à idées fixes, poussant l’entêtement jusqu’à provoquer une révolution, le veto devrait céder devant une majorité des deux tiers dans chacune des deux chambres.

Le président aura-t-il aussi le droit de dissoudre les chambres ? M. Prevost-Paradol voyait dans la dissolution un rouage essentiel du régime représentatif, parce que c’est, pensait-il, l’unique moyen de prévenir un désaccord prolongé et profond entre les chambres et le pays, et, comme il ne croyait pas qu’un président pût en faire

  1. Voici ce que dit à ce sujet M. Mill : « Je n’ai pas supposé le cas où un grand pouvoir centralisé entre les mains du premier magistrat et l’attachement insuffisant du peuple pour les institutions libres donneraient à ce magistrat la chance de réussir dans une tentative pour renverser la constitution et usurper le pouvoir. Où existe un tel danger, il ne doit pas y avoir de premier magistrat que le parlement ne puisse réduire d’un seul vote à la condition d’homme privé. Dans un état de choses où ce manque de foi n’est pas impassible, cette prérogative du parlement, si énorme qu’elle paraisse, n’est même qu’une faible sûreté.