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celle de Cosme de Médicis, dont il fut, à côté de Marsile Ficin, l’un des familiers. L’auteur d’une histoire des Ascolitains célèbres, publiée en 1622, raconte avec une obscure emphase que ce qui le mit en renom fut une mission du souverain pontife (il ne dit pas lequel) le chargeant d’aller reprendre à prix d’or ou par son adresse une précieuse bibliothèque restée entre les mains « des Thraces et des Musulmans. » Peut-être s’agissait-il des précieux débris de la bibliothèque des empereurs de Constantinople. « Privés de ce trésor, dit le biographe italien, les savans gémissaient, les lycées étaient déserts, les académies versaient des larmes, les chaires attendaient avec anxiété. Enoch, avec sa haute sagesse et son grand esprit, remua tout, les pierres même, jusqu’à l’entier succès. De la sorte, il raffermit les lettres latines ébranlées, et contribua aussi à propager l’éloquence grecque. » Enoch est en rapport avec le Pogge dès avant 1440 ; une lettre de ce dernier, antérieure à cette date, lui reproche certaines médisances à son égard. Il est employé constamment pour des achats de manuscrits sous le pontificat de Nicolas V, et nous avons à la date de fin avril 1451 la lettre de recommandation, contre-signée du Pogge, par laquelle le pape l’adresse au grand-maître de l’ordre teutonique. Alors il va en « Dacie ; » le Pogge, dans une lettre non datée, prétend qu’il est déjà depuis deux années dans le nord sans avoir encore découvert rien qui vaille. C’est toutefois dans le couvent cistercien auquel a succédé jusqu’à notre temps l’académie royale de la jolie petite ville de Soroe, non loin de Copenhague, qu’il trouve, non pas le manuscrit des dix décades de Tite-Live qu’un certain Nicolas le Goth affirmait y avoir lues, mais les deux élégies sur la mort de Mécène qu’un critique allemand a pu proposer de ranger, bien qu’à tort, parmi les œuvres du temps d’Auguste, tant elles sont habilement composées. Platina, qui écrit seulement une vingtaine d’années après la mort de Nicolas V, met Enoch d’Ascoli sur la même ligne que le Pogge, et dit que, pendant que celui-ci retrouvait tout Quintilien, Enoch mettait la main sur les manuscrits d’Apicius et de Porphyrion, le scoliaste d’Horace,

En résumé, de même que le grand monument formé par les Annales et les Histoires ne nous a été conservé qu’à peine, déplorablement mutilé, en deux fragmens recueillis dans deux manuscrits devenus uniques, l’un au XIe et l’autre au XVe siècle, de même le livre de Tacite sur la Germanie et le Dialogue des orateurs n’ont été sauvés d’une perte tout à fait imminente que grâce à la copie unique obtenue de 1451 à 1459 par les soins du Pogge et d’Enoch d’Ascoli. Ces deux ouvrages, comme l’Agricola, qui, selon toute apparence, faisait partie du même manuscrit et en a été disjoint pour suivre d’autres destinées encore mal connues, n’ont été impri-