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On a proposé de fixer la durée du mandat pour la première chambre à huit ans, avec un renouvellement par moitié tous les quatre ans, et la durée du mandat pour la seconde chambre à quatre ans, avec réélection de la moitié tous les deux ans. Je pense que, dans un pays qui a traversé autant de crises que la France, le renouvellement partiel est préférable : voici pourquoi. Dans une chambre qui se renouvelle par moitié, un certain esprit de tradition se conserve. Les anciens le maintiennent et agissent sur les nouveau-venus. Il n’y a point de changement brusque ; or la politique pas plus que la nature n’aime les soubresauts. En tout, il faut procéder avec ménagement et par transitions. L’histoire parlementaire en France n’a eu que trop de coups de théâtre et de changemens à vue. En second lieu, avec le renouvellement partiel, l’agitation électorale n’embrasse pas tout le pays. La moitié des départemens voterait tous les deux ans, — non, comme je l’ai entendu proposer, tous les départemens, — pour la moitié de leurs représentans, ce qui serait le pire des systèmes, car on aurait une agitation générale très fréquente, et les représentans restans, si les élections amenaient de nouveaux députés d’une autre opinion, n’auraient plus qu’à donner leur démission, car ils auraient cessé d’être en communauté d’opinion avec leur collège électoral. Les élections partielles sont un avertissement ; les élections générales sont fréquemment toute une révolution. On n’a qu’à se souvenir de celles du mois de mai 1870.

La république doit éviter tout ce qui peut provoquer une agitation générale et profonde, car le pays ne le supporterait pas. Les républicains voudraient transformer leur régime de prédilection en un état de fièvre et d’excitation permanentes. C’est le moyen assuré d’empêcher les institutions républicaines de jamais prendre racine. Il faut partir de ce principe, que nos sociétés industrielles et laborieuses ne conserveront jamais un régime qui ne donne pas la sécurité durable dont l’industrie et le travail ont besoin. Ceux qui cherchent à constamment agiter le pays, comme récemment le parti qui demandait la dissolution de l’assemblée nationale, sont les ennemis de la république. La république existe, et pour la renverser il faudrait un violent effort accompagné de périls immédiats et de périls éloignés. La Bourse même semble le comprendre, car elle baisse chaque fois que le régime actuel est menacé ou ébranlé. Donc plus les institutions nouvelles donneront au pays de sécurité et même de repos, plus elles auront chance de durer. Si elles ne lui donnent ni l’un ni l’autre, la nation rétablira la monarchie, au risque d’une révolution presque inévitable avant vingt ans et de la guerre extérieure à plus courte échéance.