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après avoir lu des monumens comme le poème anglo-saxon de Beowulf, aussi national pour l’Angleterre que l’est pour l’Allemagne celui des Nibelungen, on veut étudier dans Shakspeare le fidèle écho de tant de croyances poétiques et légendaires que l’imagination germanique a directement héritées, on le verra, de l’antique Orient, qu’elle a transformées à sa manière, puis propagées et transmises. Il s’agit donc d’une ample étude à la fois historique et morale, par certains côtés aussi littéraire, qu’il faudra seulement s’appliquer à renfermer dans son cadre, c’est-à-dire dans les limites d’un commentaire raisonné des pages de Tacite.


I.

Quel est d’abord le sens général de ce livre? avec quelle intention et quelles dispositions morales l’auteur l’a-t-il composé? Il importe de le savoir avant toute chose, afin d’en bien apprécier les témoignages. Les avis les plus divers ont été exprimés à ce sujet. Laissons de côté les argumens peu sérieux de ceux qui, comme l’historien allemand Luden ou l’évêque suédois Nordin, émule de notre sceptique Jean Hardouin, ont exprimé des doutes sur l’authenticité d’un ouvrage marqué à chaque page, à chaque ligne, d’une empreinte irrécusable. Voir ici l’œuvre de quelque moine ou érudit du moyen âge et non pas celle de Tacite, c’est proprement délirer, c’est être possédé par le démon de l’érudition critique. L’opinion suivant laquelle nous n’aurions qu’un chapitre ou qu’une digression des Histoires ou des Annales est étrange aussi et dénuée de tout fondement. Il est clair que ces pages forment un livre original, avec un sens et un but particuliers qu’il s’agit de saisir. C’est un pamphlet politique, a-t-on dit, ayant pour objet de détourner Trajan d’une guerre contre les Germains en lui montrant toutes les difficultés et les périls d’une telle entreprise; Tacite voulait tout au moins déterminer l’empereur à un sursis jusqu’à des circonstances favorables. M. F. Passow et M. F. Haase ont soutenu cette thèse. Il aurait fallu cependant prouver d’abord que Trajan méditait en l’an 98, époque de son avènement et date de la composition du livre de Tacite, une guerre de conquête vers la Germanie; or le contraire est évident. Il était dès lors bien décidé que l’empire devait se tenir sur la défensive à l’égard d’‘s Germains, qui de leur côté, en présence des fortifications et des fondations romaines sur la rive droite du fleuve, allaient porter désormais leur effort principal sur le Danube. Trajan eût été le dernier à ignorer cet état de choses, puisque, au moment où il fut adopté et nommé César par Nerva, il était légat de l’une des Germanies.

Faut-il écarter de même l’opinion qui ne veut voir ici qu’une sa-