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représentans. Quelques très hauts fonctionnaires pourraient être admis à titre personnel. Les corps d’élite nommeraient des hommes distingués, d’un esprit pratique, ayant des connaissances spéciales, toutes choses auxquelles l’élection populaire n’a pas assez d’égard. C’est un vice reconnu de la démocratie de ne pas faire arriver au pouvoir les hommes qui sont le plus dignes et le plus capables de l’exercer. Aux États-Unis, la chambre basse est en général mal composée, tandis que les sénateurs, nommés par les états, sont presque tous des politiques éminens. Si on veut assurer au pays le service des hommes qui sont le plus à même de bien diriger les affaires publiques, il faut s’adresser ailleurs qu’au suffrage universel.

Beaucoup de socialistes sont dégoûtés des résultats de l’élection ordinaire, et ils réclament ce qu’ils appellent la représentation du travail, c’est-à-dire des représentans élus par les différens groupes industriels et agricoles, la métallurgie, les mines, le coton, la soie, la viticulture, le commerce, et ainsi du reste. L’idée a du bon. Sismondi, dans ses études sur les constitutions libres, l’a préconisée, et il a rappelé que les communes du moyen âge en Italie, en Flandre, constituaient ainsi leur magistrature. En élargissant le système, en appelant au gouvernement de l’état les représentans des industries, des fonctions, des services et des académies, on obtiendrait ce qui manque d’ordinaire à la chambre populaire, les connaissances spéciales.

Je ne crois pas qu’il faille accorder à aucune des deux chambres le droit de rejeter indéfiniment un projet voté par l’autre chambre. C’est un droit dont la chambre des lords jouit en Angleterre, mais elle n’en abuse pas ordinairement, parce qu’elle est assez clairvoyante pour comprendre que l’abus de son privilège mettrait bientôt son existence même en danger. En France, deux choses seraient à craindre, en premier lieu que la chambre récalcitrante ne sût point céder à temps, l’esprit de transaction ayant toujours manqué aux assemblées françaises, en second lieu que l’opinion ne supportât pas l’usage d’un veto absolu et définitif. Si l’on veut éviter la chance d’une révolution, il faut trouver un moyen légal de vaincre la résistance trop prolongée de l’une des deux chambres. On peut d’abord faire nommer par chacune d’elles des commissaires chargés de trouver un moyen terme accepté de part et d’autre ; mais si ce moyen échoue, si un même projet de loi voté deux fois dans deux sessions successives par l’une des chambres a été rejeté deux fois par l’autre, la question devrait être décidée à la majorité absolue dans une séance plénière, à laquelle assisteraient les membres des deux assemblées. C’est là une disposition de la constitution du Brésil : elle est très sage, et surtout parfaitement appropriée à la situation présente.