Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/784

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sive qui, continuant pendant de longues séries de siècles, a réduit de plus en plus ou même fait disparaître entièrement un organe désormais superflu. De ces deux hypothèses, la seconde a l’avantage de ne pas supposer gratuitement un plan pour expliquer le résultat nécessaire de la communauté d’origine combinée avec l’hérédité des adaptations fonctionnelles de Lamarck et la sélection naturelle de Darwin.

Quoique je ne veuille pas traiter spécialement de l’origine de l’homme, je ne puis cependant m’empêcher de satisfaire la juste curiosité du lecteur en lui faisant connaître l’opinion de M. Haeckel sur cette grave question[1]. Les travaux de Huxley et de Broca ont prouvé que l’organisation de l’homme est analogue à celle des grands singes anthropomorphes : orang, gorille, chimpanzé et gibbon. En comparant les uns après les autres tous les appareils organiques de l’homme à ceux de ces quatre espèces, les anatomistes précités ont trouvé que les rapports sont tantôt plus intimes avec l’une, tantôt avec l’autre de ces espèces. Chacun de ces êtres anthropoïdes a des points de ressemblance et de dissemblance avec l’homme, mais d’une manière générale tous sont beaucoup plus rapprochés de l’homme que des autres singes, — mandrils, magots, sapajous, etc. Suivant Haeckel, l’homme serait sorti de ce groupe anthropomorphe comme d’une souche commune. Les êtres intermédiaires manquent, soit que leurs restes fossiles n’aient pas encore été découverts, soit que le continent, berceau du genre humain, placé entre la presqu’île de l’Inde et l’Afrique soit actuellement recouvert par les eaux de la mer. Les phénomènes de l’atavisme nous permettent d’affirmer l’existence antérieure de ces créatures intermédiaires. Les crétins, les idiots microcéphales, si bien décrits par Charles Vogt, représentent des hommes simiesques, des retours accidentels à l’état primitif. Ces êtres disgraciés sont tous muets; le langage articulé leur fait défaut, comme l’intelligence. Le langage articulé est donc le caractère distinctif de l’homme, et la philologie confirme les données de l’histoire naturelle. D’après les recherches de Frédéric Müller et d’Auguste Schleicher[2], le langage articulé a pour origine première les sons inarticulés exprimant chez les animaux la terreur, le désir, la joie, la douleur. Nos langues perfectionnées ont été précédées d’un grand nombre de langues rudimentaires et imparfaites qui ont péri avec ceux qui les parlaient. La racine des

  1. Voyez de Quatrefages, sur l’Unité de l’espèce humaine, — Revue du 15 décembre 1860, 1er janvier, 15 janvier, 1er mars, 15 mars et 1er avril 1861, et Radau, l’Origine de l’homme suivant Darwin, — Revue du 1er octobre 1871.
  2. Auguste Schleicher, Die Darwinische Theorie und die Sprachwissenschaft, 1863; — Uber die Bedeutung der Sprache für die Naturgeschichte des Menschen, 1865.