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pour défendre la légitimité, et la guerre de Grèce pour faire triompher la révolution. Sous Louis-Philippe, on soutient Méhémet-Ali au risque d’une guerre européenne, on protège les libéraux en Espagne et les jésuites du Sonderbund en Suisse, et on se brouille avec l’Angleterre pour un mariage, insigne puérilité qu’on a payée cher. La république de 1848 va à Rome pour renverser la république italienne. Sous Napoléon III, les contradictions touchent à la démence. On veut faire l’Italie sans défaire le pouvoir temporel, et on se fait exécrer par les Italiens dans la péninsule et par les prêtres dans le monde entier ; après avoir humilié la Russie, on inquiète l’Angleterre, qu’on oblige d’armer ses volontaires et ses cuirassés ; on va au Mexique pour arrêter les progrès de la race anglo-saxonne, et on perd ainsi l’amitié des États-Unis ; enfin, pour comble d’insanité, après avoir élevé de ses propres mains la prépondérance de la Prusse, en l’aidant par deux fois à morceler l’Autriche, on attaque la Prusse, dont on vient de favoriser la rapide croissance. La conséquence inévitable de cette politique, c’est que la France, au jour de l’épreuve, ne peut espérer l’appui d’aucun de ces états qu’elle a successivement vaincus, humiliés, menacés, démembrés ou inquiétés. Aujourd’hui même, — attitude illogique, — on s’aliène l’Italie sans satisfaire le pape. Si la France a eu trop souvent une politique extérieure dépourvue de suite et même de sens commun, cela tient à une cause profonde : c’est qu’elle porte dans son sein deux esprits qui se combattent, l’esprit de la révolution et l’esprit de l’ancien régime. Selon que l’un ou l’autre triomphe ou qu’on veut satisfaire l’un ou l’autre, on part en guerre tantôt pour la théocratie et tantôt pour la liberté. Ah ! si la France s’était abstenue de toute politique étrangère, si elle s’était uniquement appliquée à développer les trésors de son sol et de son génie, quel fortuné pays, et quelle heureuse influence il eût pu exercer !

Toutefois, maintenant qu’elle a subi les douloureuses conséquences des fautes incessantes que ses gouvernemens lui ont fait commettre, il faut au moins qu’elle continue à conserver la position qu’elle occupe encore, et, pour cette tâche qui n’est pas aisée, ce n’est pas trop du concours d’une assemblée d’élite, renfermant ce que le pays possède d’hommes clairvoyans et sensés. Il faut absolument donner un organe à l’esprit de suite. En politique, l’esprit de suite assure le succès ; celui qui en manque finit par succomber. Voyez les états aristocratiques, Rome, l’Angleterre, comme ils se maintiennent à travers les siècles ! Les états à souverain électif, par suite à politique variable, ont succombé aussitôt qu’ils se sont trouvés en présence d’autres états où les mêmes vues se perpétuaient. L’empire germanique était un corps impuissant que l’on