Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/750

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous rendez suspect par votre hésitation, » répliqua rudement le patrice. L’archevêque, qui avait intérêt à la production des pièces, puisqu’on l’accusait de les avoir falsifiées, invita le protonotaire à obéir. « Il faut bien qu’on vérifie, disait-il, s’il existe des altérations à l’original, et que l’on cherche de qui elles peuvent provenir, s’il y en a. » Aétius persistait, et il fallut un ordre du concile pour le faire céder.

On apporta finalement l’original des actes. Il en circulait quelques rares copies à Constantinople, et les procureurs d’Eutychès en avaient une qu’ils se proposaient de confronter avec la pièce produite, ce qui fut fait. On ne remarqua entre les deux aucune différence notable. Flavien était justifié ; il n’avait ni falsifié les copies, ni surchargé l’original : pourtant cela n’expliquait pas les inexactitudes dont Eutychès se plaignait, et que démontraient d’ailleurs des témoignages irrécusables. Si l’altération n’avait pas été faite sciemment sur le texte authentique, elle devait provenir des notes primitives qui avaient servi à la rédaction du texte, et c’est là-dessus que porta l’interrogatoire. Pressé vivement par les demandes du patrice, Aétius donna, sur la manière dont se rédigeaient les procès-verbaux des conciles, des détails qui furent alors recueillis, et sont restés précieux pour l’histoire. En voici quelques-uns.

Les notaires tachygraphes traçaient leurs notes au fur et à mesure de la discussion ; à la clôture de la séance, ils les rapprochaient entre elles et composaient le compte-rendu présenté à la signature des évêques, et qui devenait l’authentique des actes. La rédaction de cette pièce était faite par le chef des notaires, ou du moins sous sa surveillance. On y laissait non pas tout ce qui avait été dit ou fait, mais seulement les choses ayant certain caractère d’importance ; par exemple, des propos échangés entre les membres en manière de conversation, et non comme des opinions déterminées, étaient omis par les tachygraphes ou retranchés lors de la rédaction définitive, souvent même le retranchement s’opérait d’après le désir des interlocuteurs eux-mêmes. Il arrivait aussi que les cris proférés par un ou quelques membres étaient recueillis comme des acclamations du concile, et si aucune observation ne s’élevait lors de la rédaction du procès-verbal définitif, ils y figuraient à ce titre, « les signatures approuvant tout, » suivant l’expression du protonotaire Aétius. Ainsi les actes disaient que le concile tout entier s’était levé en criant : « Anathème à Eutychès ! » Eutychès niait le fait, et il résulta de l’enquête que quelques voix seulement avaient prononcé cet anathème, attribué faussement à toute l’assemblée. Les paroles de plusieurs membres avaient été dénaturées ; on n’avait pas relaté des propositions positivement faites au président, et auxquelles leurs auteurs attachaient du prix. En résumé, la séance de la con-