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et de la terre, reprit le moine avec émotion, je ne me suis pas permis jusqu’à présent de raisonner sur sa nature ; mais qu’il nous soit consubstantiel, je ne l’ai point dit, je l’avoue. Jusqu’à ce jour, je n’ai point dit que le corps du seigneur notre Dieu nous soit consubstantiel ; mais je reconnais que la vierge Marie est de même substance que nous, et que notre Dieu a pris d’elle sa chair. »

Le moine évidemment s’embrouillait dans ses réponses : il disait trop et ne disait pas assez ; aussi les interpellations s’adressèrent à lui de plusieurs côtés de l’assemblée. Eutychès essayait de répondre à toutes, et refusait d’aborder sa doctrine. « Si sa mère nous est consubstantielle, dit Basile, évêque de Séleucie, il l’est aussi, car il a été nommé Fils de l’homme. — Puisque vous le dites, je le dirai, répondit Eutychès. — La mère nous étant consubstantielle, dit à son tour le patrice Florentius, il faut bien que le fils nous soit aussi consubstantiel. — Jusqu’ici je ne l’ai point dit, répliqua Eutychès, car, comme je soutiens que son corps est le corps d’un dieu, m’entendez-vous ? je ne dis pas que le corps de Dieu soit le corps d’un homme, mais un corps humain, et que le Seigneur s’est incarné de la Vierge. Que s’il faut ajouter qu’il nous est consubstantiel, je ne le disais pas auparavant ; mais, votre sainteté l’ayant dit, je le répète. — C’est donc par nécessité et non pas selon votre pensée que vous confessez la foi, s’écria Flavien impatienté. — C’est ma disposition présente, reprit Eutychès. Jusqu’à cette heure, connaissant que le Seigneur est notre Dieu, je ne me permettais pas de raisonner sur sa nature ; mais, puisque votre sainteté me l’enseigne, je le fais. — Nous n’innovons rien, dit Flavien, qui commençait à sortir des gonds ; nous suivons seulement la foi de nos pères. » Le patrice Florentius, qui perdait aussi patience, lui posa cette question catégorique : « Dites-vous que Notre-Seigneur est de deux natures après l’incarnation ou non ? » Eutychès répondit : « Je confesse qu’il a été de deux natures avant l’union ; mais après l’union je ne confesse qu’une nature. »

Le débat se fût perpétué dans les mêmes termes sans plus d’éclaircissement, lorsqu’une voix demanda dans le concile que l’accusé anathématisât tout ce qui était contraire à la doctrine exposée à l’ouverture des débats. « Je ne le ferai point, s’écria Eutychès avec feu ; je vous ai dit tout à l’heure ce que je ne disais point auparavant, et je vous l’ai dit parce que vous l’enseignez et que j’obéis à mes supérieurs ; mais je ne l’ai point trouvé clairement dans l’Écriture, et les pères ne l’ont pas tous dit. Si je prononce cet anathème, malheur à mol, car j’anathématise nos pères ! » Tout le concile se leva en criant : « Qu’il soit anathème ! » Flavien ajouta : « Que le saint concile dise ce que mérite cet homme qui ne veut ni confesser clairement la vraie foi, ni se rendre aux sentimens du concile. »