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présenterait devant lui le lundi suivant, car il avait besoin de ce temps pour affermir sa santé. Le concile lui accorda ce délai. Plusieurs mots prononcés pendant les débats avaient donné de l’inquiétude à l’accusateur sur le dénoûment du procès, et il voulut avoir à ce sujet une explication publique. On avait parlé de repentir, d’indulgence, de pardon ; on avait fait entendre que, si l’accusé, reniant ses erreurs passées, donnait pour l’avenir des garanties d’une meilleure croyance, le concile userait de clémence envers lui. Flavien en effet avait tenu ce langage, et Eutychès voulait déclarer par la bouche de l’archimandrite Abraham qu’il consentait aux expositions de Nicée et d’Éphèse, et, acceptait celle du bienheureux Cyrille. Eusèbe de Dorylée réclama, comme si une telle fin du procès devait être sa propre condamnation. « Quoi ! s’écria-t-il avec véhémence, le voilà qui vient à résipiscence ? Je ne l’ai pas accusé de l’avenir, je l’ai accusé du passé. Si on lui donne maintenant une confession de foi qu’il souscrive par nécessité, moi, son accusateur, ai-je perdu ma cause ? — Personne ne vous permet de vous désister de l’accusation, lui dit doucement Flavien, ni à lui de ne point se défendre du passé. — Oh ! reprit Eusèbe avec exaltation, que ce changement d’opinion ne me cause pas de préjudice, j’ai de bons témoins ! Autrement dites aux voleurs qui sont en prison : Ne volez plus désormais ! ils le promettront tous. Cela fera-t-il qu’ils ne seront pas des voleurs et qu’on a eu tort de leur donner ce nom ? » L’accusateur poussait le concile par sa violence, tandis que Flavien cherchait à le retenir dans une voie d’indulgence et de bonté.

Le délai demandé par Eutychès pour sa comparution, il l’employa à remuer ciel et terre pour sa défense. Il obtint, par l’entremise de Chrysaphius, une escorte de soldats sous prétexte qu’on voulait attenter à sa liberté et même à sa vie, l’archevêque, disait-il, ayant soudoyé la populace pour l’enlever au passage et le tuer. L’empereur voulut en outre être représenté à l’interrogatoire par un de ses officiers, le patrice Florentins, qui lui rendrait compte des choses et interviendrait, s’il en était besoin. On sut aussi qu’une grande fermentation régnait dans les monastères. Le lundi 22e de novembre, jour marqué pour la comparution, une foule immense encombrait dès le matin les abords de Sainte-Sophie et les rues que l’accusé devait suivre pour s’y rendre. L’heure de l’audience était déjà passée depuis longtemps, et le moine ne paraissait pas ; le concile impatient envoya à deux reprises des clercs s’assurer autour de l’église si Eutychès n’était pas en route. Tout à coup on vint annoncer qu’il arrivait entouré de moines et d’officiers du prétoire et escorté par une troupe considérable de soldats qui firent halte à la porte. Ils disaient tout haut qu’ils étaient chargés de sa garde et