Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concurrence à l’archevêque d’alors, Flavien, nommé depuis peu à ce siège. Eutychès, riche de patrimoine, savait placer ses libéralités à propos pour gagner des protecteurs et des amis. S’il ne sortait pas de son monastère, il y attirait des auditeurs ; on l’écoutait, on l’applaudissait, on allait le vanter au dehors. De hauts personnages le fréquentaient : un de ses visiteurs assidus était l’eunuque grand-chambellan Chrysaphius, qui l’appelait son père, parce qu’il avait été relevé par lui de la cuve baptismale. Cette paternité religieuse, très respectée dans les premiers temps de l’église, avait créé entre le principal ministre de Théodose et le moine novateur un très puissant lien d’affection. Lorsque Chrysaphius revenait du monastère au palais, il ne tarissait pas d’éloges sur l’homme qu’il venait d’entendre et sur les admirables choses qu’Eutychès lui avait révélées. La cour faisait chorus, et Théodose devint bientôt lui-même un des plus ardens fauteurs de l’eutychianisme. Une telle faveur au palais du prince attira autour d’Eutychès une petite cour de solliciteurs de l’église ou du monde, et ce moine reclus pour la vie devint un personnage qui pouvait nuire ou protéger.

Un jour de l’année 448 et vers le commencement de cette année, il reçut la visite d’Eusèbe de Dorylée, que les affaires de son église amenaient à Constantinople. Les deux amis reprirent avec abandon leurs conversations d’autrefois sur le mystère de l’Incarnation, et Eusèbe s’étonna des changemens survenus dans la croyance de l’archimandrite. Comme Eusèbe était fort entier dans ses opinions, il discutait, hochait la tête à chaque mot de son interlocuteur, voulait lui faire comprendre qu’il se trompait et le ramener à la vraie doctrine ; mais Eutychès avait l’orgueil du sectaire, et les deux amis ne tardèrent pas à se brouiller. Sur ces entrefaites, l’archevêque de Constantinople, pris pour arbitre par des évêques de Lydie en discussion sur leurs prérogatives, convoqua l’un de ces synodes qu’on appelait dans la primitive église conciles de ville ou conciles locaux, qui se composaient d’évêques étrangers que le métropolitain trouvait sous sa main. L’archevêque de Constantinople, quoique la question fût de peu d’importance, ne voulut pas la résoudre sans consulter, et la soumit au synode où l’évêque de Dorylée Eusèbe fut appelé un des premiers ; mais avant d’aller plus loin, je dois dire quel était l’archevêque de Constantinople et dans quels termes il se trouvait soit avec son clergé, soit avec la cour ; ceci importe à l’éclaircissement des choses qui vont suivre.

Flavien, archevêque de Constantinople, était trésorier de cette église et gardien des vases sacrés lorsqu’en 446 la mort de Proclus laissa le siège épiscopal vacant ; il y fut porté par l’estime publique. Flavien possédait toutes les vertus privées qu’on recherche dans un citoyen et dans un prêtre : il était indulgent, désintéressé, cha-