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rhéteurs syriens, la fille de Léontius entendit son panégyrique, auquel elle répondit sur-le-champ, ne voulant pas qu’Athènes restât muette devant Antioche. Son improvisation, tout à la louange de cette ville, se terminait par ce vers d’Homère : « je suis fière de me dire de votre race, et de sentir dans mes veines le même sang que vous, » faisant allusion aux colonies helléniques qui avaient peuplé dans l’origine la métropole de la Syrie. Ces paroles flatteuses valurent à la savante impératrice des acclamations enthousiastes : le sénat lui fit dresser une statue d’or dans la salle de ses séances, le peuple une de bronze dans son académie, qui s’appelait le Musée, à l’instar de celle d’Alexandrie. Tel avait été son premier voyage, dont le souvenir dut lui causer plus d’un regret. Les temps étaient bien changés ; et cette fois elle traversa rapidement le territoire d’Antioche, le chagrin au cœur et la rougeur au front.

Installée à Jérusalem dans un appareil convenable à son rang, au milieu d’une petite cour d’officiers impériaux et d’ecclésiastiques, elle entreprit de se concilier l’appui des habitans et celui du clergé. Elle commença la reconstruction à ses frais des murailles de la ville, en grande partie ruinées ; elle bâtit ou répara des églises, et ses libéralités s’adressèrent surtout aux monastères, qui lui donnèrent le surnom de Nouvelle-Hélène. Elle cherchait à se faire par tous ces moyens une popularité qui la mît à l’abri des colères renaissantes de Théodose et des vexations de ses ministres. Peut-être déjà songeait-elle à se créer dans ce coin reculé de l’empire une petite souveraineté indépendante du gouverneur de la province, comme elle parvint plus tard à le faire ; mais le gouverneur vit dans ces recherches de popularité un complot contre l’état, et surtout contre son omnipotence : il dénonça donc comme coupable de mêlées dangereuses et presque de révolte l’exilée qu’il avait mission de surveiller. Le châtiment ne se fit pas attendre. Un matin, Eudocie vit arriver dans son palais de Jérusalem le comte des domestiques, Saturninus, qui s’empara d’abord de ses deux ministres principaux et les fit mettre à mort. C’étaient le prêtre Sévère et un diacre Jean, qui, après avoir vécu à Constantinople dans l’intimité de sa maison, n’avaient pas voulu se séparer d’elle, et étaient dans son exil les instrumens fidèles de ses desseins. Outrée de cette indigne offense, Eudocie fit à son tour saisir et tuer Saturninus. Un ordre de l’empereur lui supprima dès lors son palais, ses officiers, sa pension impériale, et la réduisit à une condition privée. Elle accepta tout sans murmure, continuant à faire dans la mesure de sa pauvreté le bien qu’elle ne pouvait plus faire magnifiquement et en souveraine.

Elle vivait ainsi depuis plusieurs années quand une révolution du palais de Constantinople vint changer son sort encore une fois. Avec