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indignes moyens la popularité d’Augusta, on ne réussit qu’à l’accroître. Retranchée en quelque sorte dans le domaine des opinions religieuses, où elle était inviolable, elle s’y fit la protectrice de l’orthodoxie, battue en brèche par la cour. Les évêques s’adressèrent à elle dans leurs plaintes comme dans leurs vœux, et Pulchérie disgraciée, exilée du gouvernement, fut la souveraine du parti catholique.

La discorde qui avait séparé la sœur du frère n’épargna pas les deux belles-sœurs ; Eudocie en toute occasion embrassa la cause de son mari contre la femme qu’elle avait longtemps appelée sa mère. Dans les questions religieuses, où Pulchérie mettait tant d’intérêt, elle trouvait toujours en face d’elle sa filleule Athénaïs liguée contre sa croyance avec la cour, nestorienne d’abord, eutychienne ensuite, alors que Pulchérie restait invariablement attachée à la foi traditionnelle de l’église. Cette opposition déclarée avait valu à l’impératrice quelque ascendant sur Théodose ; elle patronnait parfois les ministres, Cyrus par exemple, et prenait part aux affaires. Cette rivalité de pouvoir entre les Augusta fut envenimée, suivant le dire de plusieurs historiens, par une autre plus personnelle, plus sensible au cœur des femmes, la jalousie.

J’ai parlé à plusieurs reprises de Paulinus, ce jeune compagnon d’études de Théodose, devenu son ami dans l’âge mûr, et qui, par les conseils de Pulchérie, avait décidé l’empereur incertain à épouser Eudocie. J’ai dit comment la fille de Léontius avait reconnu ce service en admettant le jeune paranymphe dans l’intimité de sa société, et comment celui-ci, admirateur du talent et de la beauté, s’était pris d’une vive passion pour elle, tandis que lui-même, à son insu, inspirait de pareils sentimens à l’austère Pulchérie. Eudocie payait cette passion d’une amitié dévouée, mais où l’amour (elle l’assura du moins) n’entra jamais pour rien. Leurs relations durèrent sur ce pied pendant plus de vingt ans, Paulinus la voyant chaque jour et recevant toutes ses confidences. Non-seulement la faveur d’Eudocie l’avait élevé aux plus hautes dignités de l’état, mais elle l’avait fait recevoir comme commensal à la table impériale, honneur domestique fort apprécié à la cour des césars et que l’on désignait par le titre de convive du prince. Pour le moment, il exerçait les importantes fonctions de préfet du prétoire. Plus d’une fois la malignité publique, éveillée par cette fortune rapide, avait essayé d’inquiéter Théodose, et plus d’une fois aussi le prince avait conçu des soupçons que la réflexion avait ensuite écartés, lorsqu’un incident étrange vint lui ouvrir les yeux, ou, pour mieux dire, donner à ses appréhensions une apparence de réalité. Cet incident, malgré une couleur un peu légendaire, a passé dans l’histoire, et nous ne l’omettrons pas ici, d’abord parce qu’il figure chez presque tous