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apparemment souvenu de ses Lionnes pauvres, à moins que son collaborateur ne lui en ait épargné la peine. Tous deux peut-être auraient dû se rappeler que déjà, dans le Mariage d’Olympe, un gentilhomme avait tué celle qui fait la honte de sa famille; seulement ce n’est pas le mari, mais un oncle qui se charge de l’exécution. Changer un coup de pistolet en strangulation n’est pas se mettre en grands frais pour trouver un dénoûment : il y a progression, je l’avoue, mais non dans l’art. Enfin aucun des deux ne peut avoir oublié, l’un pour l’avoir vu sur la scène, l’autre pour l’avoir lu au moins dans une bibliothèque, l’exposition de Turcaret. Il y a là une baronne équivoque également, veuve aussi d’un officier allemand, qui s’entretient avec sa suivante sur les deux amans qu’elle favorise, celui qui plaît et celui qui finance. C’est de point en point l’exposition de la pièce nouvelle, et l’on a pu croire un instant que les auteurs avaient emprunté le cadre de Lesage pour y mettre une esquisse de mœurs modernes. Le premier acte est d’ailleurs assez divertissant, et, comme l’agrément des mots et des tirades n’y fait pas défaut, on ferme les yeux sur la débonnaireté du barbon, du père de famille, du gentilhomme aussi riche que titré, qui met aux pieds d’une inconnue, d’une femme qui reçoit des cadeaux, ses armoiries, son château, son hôtel et même sa fille : peut-être faut-il savoir gré de cette indulgence à Geffroy, qui soutient ce rôle à force de noblesse.

Malheureusement le second acte, tournant au drame trivial et vulgaire, annonce bien vite quel sera l’ordre des conceptions, et, je le crains, le sort de la pièce. La prétendue baronne est devenue comtesse authentique; elle sort à peine avec le comte de l’église où ils viennent d’être mariés, que l’amant reparaît, La misérable s’agenouille devant son mari, ce qui, à notre avis, est plus révoltant que l’orgueil et le défi dans une telle personne. La génuflexion, dans ce cas, n’est permise qu’à Fernande, élevée dans l’opprobre, victime de son dévoûment pour sa mère, et pure au moins de tout mensonge. La pièce nous semble assez près de sa chute, lorsque le troisième acte, qui est construit avec une adresse relative, vient la relever au moins pour un temps.

Un beau matin, à l’heure du réveil, on aperçoit des pas dans la neige : la comtesse de Savenay n’a pas attendu de longs jours pour rendre à son amant les droits qu’elle lui réservait dès le principe; elle l’a reconduit jusqu’à la porte de son appartement sous les yeux du public, qui garde le silence, étonné sans doute d’une si belle audace. Nous n’insistons pas sur cette grosse inconvenance théâtrale, trop théâtrale même. Nous ne parlons pas non plus de ces pas dans la neige, moyen renouvelé d’Éginhard. La comtesse, trop amoureuse pour être si cupide, et trop cupide pour être si amoureuse, se tire d’embarras comme elle peut avec son mari, en disant qu’elle s’est promenée elle-même,