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tier serait à son terme à peu près au bout de ce nombre d’années. Ainsi la loi du 28 septembre fait de la servitude une sorte de concession temporaire des services de 1,500,000 âmes avec amortissement par voie de tirage au sort et de rachat, à peu près comme une concession de chemin de fer. Elle indemnise les maîtres par la prolongation du droit de jouir des affranchis.

Ce régime intermédiaire ne durera pas. Ni la propriété ni la liberté ne sont complètes, mais la propriété est condamnée comme injuste, la liberté est proclamée comme juste. La justice tuera l’injustice, et il va se livrer un combat sourd, puis bientôt éclatant, entre l’injustice encore appuyée sur la loi et la justice appuyée sur l’opinion. La victoire sera du côté de la justice. On ne pourra supporter de voir des enfans libres et leurs mères esclaves, des hommes affranchis par l’état au milieu d’autres hommes demeurant captifs. La pensée, l’espoir, la volonté de devenir libres, vont se répandre et fermenter dans tous les groupes d’Africains. Bientôt les maîtres intelligens et prévoyans préféreront organiser le travail libre, et ils compteront plus sur le salaire que sur la loi pour s’assurer des ouvriers. L’exemple des colonies anglaises est dans toutes les mémoires. L’Angleterre avait voulu essayer d’un régime graduel d’apprentissage; avant la fin, tout le monde, maîtres et esclaves, en avait assez, et la liberté complète fut proclamée aux colonies avant d’avoir été décrétée par la métropole. Le Brésil doit s’attendre à cette conséquence irrésistible de la loi actuelle, et pourquoi la redouter?

Ceux-là doivent craindre l’abolition immédiate de l’esclavage qui ont maltraité leurs esclaves, les laissant dans l’ignorance et l’abrutissement. Il n’y a pas à en douter, les affranchis de ces maîtres-là refuseront le travail, et retourneront à la vie sauvage dans les vastes espaces du Brésil ; mais il y a des maîtres très nombreux qui se sont fait aimer, qui ont assuré à leurs esclaves l’instruction chrétienne et la vie de famille. Rien à craindre dans les plantations où de pareils traitemens ont préparé les enfans de l’Afrique à l’usage raisonnable de la liberté. Je ne connais pas d’histoire des races humaines où la logique ou plutôt la force secrète de la justice cachée au fond des choses par une main sage et bonne se montre et se déploie plus clairement que dans l’histoire des races serviles. Le bien engendre le bien, le mal ne produit que le mal, le passage du mal au bien s’accomplit par une peine. Le Brésil recueille et recueillera exactement ce qu’il aura semé. Ce sont là les axiomes de la loi morale, gravés dans l’histoire et inscrits dans l’Évangile, que M. de Rio-Branco, à la fin de son discours éloquent, appelle le Code des codes. Ils prévaudront sur les expédiens, les transactions et les atermoiemens de la loi civile.

Disons-le à l’honneur du Brésil : le gouvernement et l’opinion sont unanimes pour travailler à l’extinction de la servitude. Des travaux im-