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dessous de douze ans de leur mère; donc cette infâme séparation était quelquefois pratiquée. La loi permet encore, en cas de partage de succession, de vendre la famille et de s’en diviser le prix. Vendre une mère et ses enfans, toucher le prix de la vente d’un homme, cela sera donc encore permis !

Ajoutons à ces indications significatives tirées de la loi elle-même le fait capital qui ressort de tous les documens produits dans la discussion. Le président du conseil, M. de Rio-Branco, a estimé à 1,500,000 le nombre des esclaves du Brésil. Or, d’après les travaux remarquables de MM. Pereira da Silva, Ferreira Soares et Perdigao Malheiro, il y avait environ 2,200,000 esclaves en 1851, époque à laquelle la traite des nègres africains, proscrite par les lois, fut enfin réellement arrêtée. Déjà, pendant la durée de cet abominable trafic, il avait été constaté, de 1818 à 1845, que l’importation énorme des esclaves ne suffisait pas à remplir les vides causés par la mort, et depuis lors le faible chiffre des affranchissemens volontaires n’explique point la rapide réduction du chiffre des esclaves de 2,200,000 à 1,500,000, réduction que tous les témoignages attribuent à une effrayante mortalité. Dans un mémoire communiqué en 1870 à l’Institut de France, M. de Gobineau, ministre de France au Brésil, prévoyait que l’esclavage s’éteindrait promptement par l’extinction de la race servile elle-même. Ainsi l’esclavage, qui dans l’opinion de ses apologistes était destiné à peupler des terres inhabitées et à conserver en la civilisant la race africaine, aboutit à la mort rapide et à la dépopulation. Il est bien connu, et cette expérience est faite au Brésil comme ailleurs, que cette institution entretient en outre l’agriculture dans la routine et la société des maîtres dans la paresse et la corruption. Destruction des noirs, corruption des blancs, mauvaise exploitation du sol, tels ont été partout, tels sont au Brésil, les résultats funestes, inévitables, de l’esclavage, il faut le dire et le redire sans cesse à ceux qui vont supporter les maux d’une transformation devenue nécessaire, qui ne manqueront pas de regretter, d’exalter, de peindre sous les plus fausses couleurs le prétendu régime patriarcal dont ils avaient les bénéfices si chèrement achetés.

Par bonheur, le Brésil ne présente pas seulement la preuve des ravages du travail forcé; il offre aussi, comme contre-épreuve, le spectacle des progrès du travail libre. Sur cette terre comblée de biens par le Créateur, au fur et à mesure que le nombre des esclaves diminuait, le chiffre des importations et des exportations augmentait, parce que les propriétaires intelligens, sous la vive impulsion du gouvernement, ont introduit des machines, payé des ouvriers libres, amélioré les procédés de culture et les voies de communication. Il y a déjà près de 1,000 kilomètres de chemins de fer au Brésil, reliant les grandes villes au centre ou à la mer. Sur les 1,500,000 esclaves actuellement vivans, 400,000