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Les agitations ont cela de triste qu’elles sont le plus souvent infécondes, elles ne profitent ni à la liberté ni à la sécurité d’un pays. Les révolutions se suivent et se ressemblent, elles voient presque invariablement se produire les mêmes choses sous d’autres noms et dans d’autres conditions. Où en est aujourd’hui l’Espagne après toutes les commotions qui se sont succédé depuis la dernière révolution de 1868 ? Il y a un an à peine qu’un nouveau souverain, élu par les cortès, Amédée Ier de Savoie, règne à Madrid, il y a un an qu’on est entré dans la pratique d’un régime qui est un mélange de démocratie et de monarchie. Tout est changé, la dynastie, la constitution, le personnel politique ; il n’y a qu’une chose qui n’a pas changé aussi complètement, c’est l’essence même de la vie publique espagnole, et, à y regarder de près, on pourrait dire que l’Espagne n’est sortie de la crise aiguë en retrouvant une royauté que pour retomber dans une crise chronique, entretenue par toutes les agitations des partis. Le fait est que la monarchie nouvelle n’est pas précisément sur des roses, et que le roi Amédée ne laisse pas d’être embarrassé rien que pour trouver des chambellans ; à plus forte raison est-il dans de singulières perplexités lorsqu’il est réduit à chercher un ministère dans une assemblée où il y a des républicains, des carlistes, des alphonsistes, des progressistes-démocrates ou des démocrates-progressistes, des radicaux enfin de toutes les nuances qui se fractionnent et forment des camps différens. Le roi Amédée s’est tiré jusqu’ici de toutes les difficultés avec beaucoup de tact, en restant strictement constitutionnel, en suivant autant que possible le courant parlementaire tel qu’il s’est manifesté dans le congrès, car le sénat joue en tout ceci un rôle assez effacé. La crise semble se compliquer aujourd’hui et aboutir à une impasse d’où l’on ne pourra peut-être sortir que par une dissolution des cortès, qui ne fera qu’ajouter le danger d’une agitation électorale à l’impuissance des agitations parlementaires.

À vrai dire, c’était assez facile à prévoir. Il arrive au-delà des Pyrénées ce qui arrive à peu près partout après les révolutions. Les vainqueurs se divisent, tandis que les vaincus cherchent à rassembler leurs forces, à se recomposer pour recommencer la guerre. Les vaincus en Espagne, le jour où un nouveau roi montait au trône, c’étaient les républicains, les carlistes, les partisans du prince Alphonse, héritier de la dernière dynastie renversée ; ces divers groupes n’ont pas déserté la lutte et ne laissent pas d’avoir une certaine importance embarrassante dans le congrès. Les vainqueurs, c’étaient les partisans de l’ancienne union libérale, les progressistes, les radicaux, qui avaient fait la révolution de 1868, et qui se ralliaient à la royauté nouvelle. C’est dans ce camp des vainqueurs que la division n’a pas tardé à se mettre. Le premier ministère du roi Amédée arrivant à Madrid était presque naturellement indiqué : il avait pour chef celui qui jusque-là avait exercé la régence, le gé-