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de garantie et rendraient plus épineuse notre libération en argent et en territoire… Il faut que l’assemblée qui a signé la paix à Bordeaux mène à terme le paiement des cinq milliards et l’évacuation du territoire. » C’est là l’intérêt évident, supérieur, national, auquel tout reste subordonné ; mais non, l’esprit de parti ne s’arrête pas à de telles considérations. Délivrer le sol national d’une lourde occupation étrangère n’est, à ce qu’il paraît, que la moindre des choses. L’essentiel est de poursuivre un triomphe de parti sous prétexte de donner à la France un gouvernement définitif. Le bonapartisme et le radicalisme, qui ne sont en réalité que deux frères ennemis, sont du même avis, et ils font ensemble l’édifiante campagne de la dissolution. Quel est leur vrai motif ? Il n’y en a certainement qu’un, c’est que l’assemblée nationale n’est ni bonapartiste ni radicale. Le bonapartisme poursuit la dissolution pour avoir son plébiscite sur lequel il compte pour nous ramener aux gloires de l’empire ; le radicalisme demande à hauts cris la retraite immédiate de l’assemblée, parce qu’il espère que les populations fatiguées, troublées, lui donneront la majorité qui fondera la république définitive, la république de M. Gambetta, à moins que ce ne soit la république de la commune, et il est vraiment touchant de voir entre le radicalisme et le bonapartisme cette émulation, cette entente pour en appeler au pays.

Le pays, le pays, c’est toujours à qui le fera parler, c’est à qui aura la prétention de le représenter mieux que tout le monde, et en fin de compte c’est à qui réussira le mieux à exploiter sa crédulité et sa bonne foi. Le pays, il a sans doute ses perplexités et ses inquiétudes ; au fond, il ne veut qu’une chose, c’est qu’on le laisse respirer, qu’on lui donne la tranquillité et le repos, qu’on ne soit pas sans cesse occupé à l’agiter sous prétexte d’invoquer son opinion, et en se réservant de demander au besoin le lendemain un vote nouveau qui démente le vote de la veille. Le bonapartisme veut consulter le pays, qu’a-t-il donc à lui offrir ? Ne l’a-t-il pas suffisamment comblé en lui donnant le Mexique et Sedan ? Le bonapartisme aurait bien des raisons d’être plus modeste, il devrait se souvenir que, dans l’espace d’un peu plus d’un demi-siècle, il y a eu trois iavasions, et que c’est par lui, par lui seul, que ces invasions ont été attirées sur la France. Oui, par deux fois depuis la révolution française, le bonapartisme a offert le spectacle d’un régime naissant d’un coup d’état et finissant par les plus effroyables désastres nationaux. Croit-on la France disposée à recommencer l’expérience ? Et le radicalisme, qu’a-t-il de son côté à offrir au pays ? Des agitations, des conflits de classes et d’intérêts, des violences suivies de réactions, une série de crises enfin conduisant par lassitude, par épuisement, à quelque despotisme césarien à l’intérieur, à l’impuissance devant l’étranger. Le radicalisme ne peut pas même arriver à formuler un programme qui puisse faire illusion, M. Gambetta s’épuise en manifestes, il écrit des circulaires, il pro-