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à leur commerce ou à leur industrie, il faut négocier avec ceux qui campent en maîtres dans leur ville. Voilà le fait qui à lui seul devrait suffire pour caractériser notre condition actuelle, pour nous rappeler l’inexorable réalité. Ceriainement on s’arrêterait si, au moment de se lancer dans ces polémiques de fantaisie qui ressemblent à un jeu sur des ruines, on se sentait ressaisi par cette idée, si on voyait passer devant ses yeux toutes ces visions funèbres d’une année de deuil, si l’on se replaçait en face de la situation de la France.

Cette situation n’a rien sans doute qui doive décourager le patriotisme, et dont une volonté énergique ne puisse avoir raison avec de la patience et du temps ; mais la première condition apparemment est de savoir oi ! i nous en sommes, et de ne pas recommencer ce qui nous a perdus. La vérité est que, dans ces deux événemens, la guerre et la commune, dont nous avons à réparer les conséquences désastreuses, la France a été doublement frappée, qu’elle n’a pas souffert seulement dans son orgueil militaire, qu’elle a été atteinte plus durement encore dans son orgueil d’esprit. Ouvrez ce petit livre qu’un médecin, M. le docteur Laborde, vient de publier sur les hommes et les actes de l’insurrection de Paris devant la psychologie morbide, ouvrez ce curieux et instructif petit livre de médecine morale et politique, vous y verrez que, parmi ces hommes qui ont été un moment des dictateurs, bon nombre étaient atteints d’affections mentales plus ou moins caractérisées, soit par une triste loi d’hérédité, soit par suite de surexcitations personnelles dues à une multitude de causes. Ils étaient littéralement fous, et l’un d’eux, conduit à Charenton, où il s’est éteint, disait naïvement : « Pourquoi n’y conduit-on pas aussi les autres ? » Ainsi voilà une ville renommée pour l’éclat de sa civilisation et pour son esprit, réputée dans le monde comme la cité reine de l’intelligence et des arts, qui a pu rester deux mois sous le joug de quelques fous surexcités jusqu’au crime ! Assurément c’est une des plus sanglantes humiliations que la mauvaise fortune puisse infliger à une grande ville et même à une nation, elle dépasse toutes les déceptions de l’orgueil militaire, et le mal dont de tels événemens sont le symptôme, ce n’est pas avec des infatuations, des frivolités, des polémiques oiseuses ou violentes, qu’on peut le guérir. On ne peut y remédier que par un énergique retour sur soi-même, par le désintéressement du patriotisme et du bon sens, par une coopération volontaire, dévouée, sans parti-pris et sans arrière-pensée, à tout ce qui peut préparer le rajeunissement du pays.

Lorsqu’on vivait dans des temps plus heureux et qu’on n’avait pas traversé tant d’épreuves qui ne sont que le tragique résumé d’une multitude de déviations et d’nntraînemens, on pouvait encore se faire illusion ; dans les combats que se livraient les partis, la fortune nationale n’était point directement et ostensiblement en jeu. On pouvait à la rigueur