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vation en définitive n’a jamais lieu que pour un temps très limité et qui est d’autant plus court qu’elle est plus forte; c’est pour un mois, six semaines au plus. Or, supposez un négociant qui a en portefeuille pour 100,000 francs de billets (nous prenons à dessein un assez gros chiffre) et qui est obligé de les escompter à 10 pour 100 au lieu de 5, ce qui est une grande augmentation; le surplus de frais qu’il devra supporter pendant un mois sera de 500 francs. Est-ce là une différence capable d’arrêter des entreprises sérieuses et d’entraîner la ruine d’une maison de commerce bien établie? Évidemment non; on aimera mieux la supporter que d’avoir pour instrument d’échange un papier déprécié de 10 pour 100 et même de 5. Si maintenant il s’agit de faire escompter pour 10,000 francs ou 5,000 francs de billets, la différence sera seulement de 50 francs et de 25 francs.

Le grand avantage de l’élévation du taux de l’escompte n’est pas seulement d’arrêter les spéculations douteuses, c’est surtout de pouvoir attirer les capitaux étrangers; il y a sur les divers marchés du monde, entre les mains des banquiers, des capitaux prêts à se porter partout où ils trouvent un grand profit joint à une sécurité suffisante. Personne ne doute de la sécurité que présentent nos valeurs ou nos affaires; mais avec le taux de l’escompte à 6 pour 100, qui n’est guère supérieur à celui qui existe dans d’autres pays, on n’est pas tenté de nous envoyer des capitaux, d’autant plus que le bénéfice peut se trouver réduit par les variations du change, lorsqu’on voudra les faire revenir. Offrons, si c’est nécessaire, à ces capitaux étrangers 3 ou 4 pour 100 de plus qu’ailleurs, immédiatement la situation changera : ils viendront escompter notre papier de commerce, acheter nos valeurs, et, pendant qu’ils séjourneront chez nous, les exportations très considérables qui ont lieu, dit-on, en ce moment porteront leurs fruits; elles feront rentrer le numéraire, le change nous redeviendra favorable, et bientôt nous serons en mesure de faire face par nous-mêmes à la situation. Le moment difficile à traverser, c’est celui qui va s’écouler d’ici à la fin de mai, jusqu’à ce que nous ayons payé aux Prussiens les 650 millions qui forment le solde des deux premiers milliards, et réglé toutes nos acquisitions de céréales. Passé ce moment, si nous avons su être prudens, ne rien compromettre de l’avenir, les difficultés s’aplaniront tout naturellement, la situation fiduciaire reviendra probablement au pair, et nous aurons maintenu notre crédit intact sans recourir à l’expédient toujours si dangereux du papier-monnaie.


VICTOR BONNET.