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troubles apportés dans nos rapports commerciaux, dans la situation de chacun ! Tout renchérira en proportion de la dépréciation. Le commerçant n’osera plus acheter parce qu’il ne saura pas ce qu’il devra payer à l’échéance de ses engagemens; le producteur hésitera pour vendre, ignorant ce qu’il pourra recevoir en échange de ses produits. Le change nous sera défavorable partout, et on verra s’écouler au dehors ce qui nous reste d’espèces métalliques. On nous dira que ce régime, qui existe dans beaucoup de pays, ne les empêche pas de faire des affaires. Cela est vrai, l’activité industrielle n’est jamais complètement suspendue; mais on ne tire pas de cette activité le profit qu’on en aurait avec un instrument d’échange fixe vis-à-vis des autres pays. Les rapports extérieurs souffrent surtout, le numéraire ne rentre pas, et on a des difficultés extrêmes pour sortir du cours forcé. On sait quand on l’adopte, on ignore quand on pourra le quitter. L’Angleterre l’a gardé vingt-deux ans, de 1797 à 1819; l’Autriche le possède depuis autant de temps, l’Italie depuis 1859, et les États-Unis, malgré le développement prodigieux de leur richesse, ne peuvent pas s’en débarrasser aussi promptement qu’ils le voudraient.

On comprend pourtant que, lorsqu’on est réduit à certaines extrémités, on crée du papier-monnaie, — c’est la nécessité où nous avons été pendant la guerre; mais aujourd’hui que nous sommes revenus à une situation normale, que tous nos efforts doivent tendre à réparer les brèches faites à notre crédit, comme à tant d’autres choses, hélas! augmenter encore le papier-monnaie pour éviter l’élévation du taux de l’escompte, ce serait courir vers un danger pour échapper à un inconvénient. Qui se récrie le plus contre l’élévation du taux de l’escompte? Ce sont les spéculateurs de toute nature, ceux qui ne vivent que sur le crédit d’autrui, qui ne cherchent qu’à réaliser un bénéfice dans des opérations douteuses, fût-ce même sur les ruines du pays. Oui, l’élévation du taux de l’escompte gênera ces gens-là, entravera leurs opérations, elle paralysera momentanément aussi la hausse à la Bourse; mais serait-ce un mal? On peut croire qu’on est allé un peu trop vite dans le mouvement de hausse qui s’est produit depuis quelque temps. Il a fait que les étrangers qui avaient souscrit à nos emprunts et nous avaient apporté le concours de leurs capitaux se sont empressés de les retirer en réalisant un bénéfice, ce qui a encore augmenté nos embarras.

Le commerce sans doute n’aime point non plus à payer l’argent cher, il gagne davantage à l’avoir bon marché; mais, placé entre l’élévation du taux de l’escompte et le risque du papier-monnaie déprécié, il n’hésite pas : il préfère la première mesure. Cette élé-