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y a toujours des personnes aux yeux desquelles le papier-monnaie produit un certain mirage. Nous ne croyons pas qu’il soit utile de discuter ici de pareilles idées et de démontrer le danger du papier-monnaie, la cause est gagnée en faveur des véritables principes; seulement il y a lieu d’examiner si, dans les circonstances présentes et vu la gravité des besoins, on ne devrait pas exceptionnellement franchir la limite des 2 milliards 400 millions, quel que fût du reste l’état de l’encaisse. Ceux qui sont de cette opinion font le raisonnement suivant : les affaires exigent un instrument de circulation suffisant; le numéraire manque, soit parce qu’il en est déjà sorti une grande quantité, soit parce qu’il se cache : il faut pourvoir à cette disette. On s’étonne, continuent-ils, que les 2 milliards 300 millions de billets aujourd’hui en circulation ne soient pas sensiblement dépréciés malgré une encaisse métallique très disproportionnée; cela tient au besoin que l’on en a et aux garanties sur lesquelles ils reposent : tant que ce besoin subsistera et que les garanties ne seront pas affaiblies, on n’a pas à craindre de dépréciation. Ceux qui raisonnent ainsi pourraient ajouter encore qu’il y a toujours au sein du pays un grand stock métallique; il n’a été que faiblement diminué par les exportations qui ont eu lieu; on serait donc tenté de comparer la situation à celle de 1848, où tout à coup, par suite d’une panique, les espèces monnayées ayant disparu de la circulation, on dut adopter le cours forcé des billets. L’or et l’argent firent alors une prime considérable; mais bientôt, quand on vit qu’au fond la réserve métallique n’avait pas quitté le pays, on commença de se rassurer, la panique cessa, et la circulation fiduciaire revint au pair. Ce précédent ajoute en effet beaucoup à l’illusion qu’on se fait sur la situation actuelle. Il est très vrai qu’en 1848, après un premier moment de panique, les billets en circulation ne furent plus dépréciés : au bout de très peu de temps, on les préféra même à la monnaie métallique. Cependant, on oublie que cette faveur dont ils jouirent se manifesta surtout lorsque les métaux précieux revinrent à la Banque de France : la conviction s’établit alors qu’on pourrait reprendre les paiemens en espèces quand on le voudrait. En 1848, les métaux précieux se sont cachés un moment parce qu’on avait peur de la révolution; mais ils existaient toujours en même quantité. Aujourd’hui le numéraire se cache ou plutôt se tient en réserve, non parce qu’il a peur, mais parce qu’étant particulièrement recherché pour les paiemens qui sont encore à faire, il n’est pas pressé de se produire sur le marché, comme toute marchandise qui doit être bientôt plus demandée qu’offerte. Enfin en 1848 la liante de l’émission avec cours forcé avait été fixée à 550 millions, et elle ne fut pas dépassée, bien que les circonstances s’y fussent mieux prêtées qu’aujourd’hui.