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couverte par des métaux précieux ne dépassa guère 1 milliard; elle est encore à peu près à ce chiffre, et l’agio sur l’or se maintient à 15 pour 100. En Italie, après l’établissement du cours forcé, les billets perdirent aussitôt 8 ou 10 pour 100, bien que les avances faites à l’état par les banques de ce pays n’excédassent pas 450 millions, et que la circulation fiduciaire fût limitée à 750. Aujourd’hui encore, malgré la situation relativement favorable de la péninsule, la dépréciation du papier est toujours de 5 à 6 pour 100. Chez nous, près de 1 milliard 800 millions de billets circulent sans être couverts par une réserve métallique, nous sommes au lendemain des plus grands désastres qui aient jamais affligé un peuple, nous avons 3 milliards l/2 encore à payer aux Prussiens, de nombreuses indemnités à régler à l’intérieur, et cette circulation si excessive ne perd, je le répète, que 1 1/2 ou 2 pour 100 par rapport à l’or, tant est grande la confiance qu’inspire notre principal établissement financier. En présence de ce résultat, on ne peut s’empêcher de faire un retour sur le passé, et de se demander ce qui serait arrivé si on avait écouté les réclamations de ceux qui se plaignaient du monopole de cet établissement, et qui auraient voulu lui susciter une concurrence dans la fameuse banque de Savoie. Que serait devenue cette concurrence pendant les événemens, si elle avait vécu jusque-là, ce qui est douteux, et que serait devenu avec elle le crédit de la Banque de France, qui elle-même aurait eu à souffrir de la déconfiture de sa rivale? Notre pays eût été évidemment livré à une catastrophe financière épouvantable.

Ce n’est pas seulement la banque de Savoie, dans les mains où elle se serait trouvée, qui aurait mis en péril le crédit de la France, c’eût été la pluralité même des banques d’émission. Si ce principe eût été appliqué, personne n’oserait soutenir que nous aurions traversé la crise comme nous l’avons fait. Avec du papier de circulation qui aurait eu des origines diverses, la confiance du public n’eût pas été aussi grande, il n’en aurait pas accepté pour une somme aussi considérable, et la Banque de France n’aurait pas pu prêter à l’état le même concours, sans compter les faillites qui auraient atteint quelques-uns des établissemens particuliers. Le monopole de la Banque de France est donc sorti à son honneur de la crise que nous venons de traverser. On pourra discuter encore en théorie sur la liberté des banques d’émission; mais personne ne sera tenté désormais d’en faire l’application dans notre pays. Ce point est désormais parfaitement jugé; ce qui ne l’est pas, ce sont les nouvelles questions qu’on soulève à propos de notre principal établissement financier. En faisant des avances à l’état jusqu’à concurrence de 1 milliard 350 millions et en continuant ses autres opérations, la Banque de France a été amenée à une circulation de 2 milliards