Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays, et que le sort des simples manœuvres, comme des ouvriers de la dernière classe, ne laisse pas que d’y être précaire malgré les apparences et l’élévation nominale des salaires.

Les consuls anglais avaient plutôt à faire la description de la destinée matérielle des ouvriers qu’à s’étendre sur leur situation morale. Ils ne se sont pas fait faute cependant de donner quelques indications utiles sur les rapports entre les travailleurs manuels et les patrons. Les trade’s unions abondent aux États-Unis, et les différens consuls s’accordent à regarder leur action comme détestable ; elles ont toutefois une influence moindre en Amérique, sauf peut-être en Californie, qu’en Europe. Elles ont été obligées, après bien des luttes, de souscrire dans quelques provinces à une baisse des salaires, que la guerre avait portés à un taux excessif. Elles ont concentré leurs efforts sur la durée de la journée de travail ; presque partout en Amérique le travail effectif est de dix heures, sauf le samedi où il se réduit à neuf. Les trade’s unions ont voulu faire adopter la journée de huit heures ; il y a eu en faveur de cette motion une agitation très persistante et très violente ; le gouvernement fédéral a eu le tort d’intervenir par des motifs politiques dans cette question, et de restreindre à huit heures la journée de travail dans les ateliers de l’état. C’était peser d’un bien grand poids en faveur des ouvriers ; néanmoins ceux-ci ne purent parvenir à leurs fins. L’industrie résista énergiquement à une réduction qui lui eût été singulièrement préjudiciable ; le seul effet de la mesure adoptée par le gouvernement a été de porter le trouble dans les relations entre patrons et ouvriers, ainsi que de rendre excessivement coûteux tous les travaux entrepris par l’état. En Californie, la législature paraît plus disposée que nulle part ailleurs à prendre souci des intérêts des populations adonnées au travail manuel. C’est ainsi que des bureaux de placement y ont été institués directement par l’état ; d’autres règlemens ont été adoptés pour protéger les classes ouvrières. Celles-ci n’en restent pas moins turbulentes ; les prétentions croissent avec les satisfactions obtenues. Des salaires qui varient de 2 à 5 dollars pour une journée de travail, qui n’est jamais de plus de dix heures et qui se réduit quelquefois à neuf ou à huit, ces conditions d’existence sembleraient devoir désarmer les trade’s unions ; mais elles conservent leur vigilance et leur activité. Leur principal objet est de limiter le nombre des apprentis ; elles sentent que là est le péril. Elles ne réussissent que trop bien, paraît-il, à faire appliquer leurs décisions ; s’il faut en croire le consul anglais de San-Francisco, les jeunes gens auxquels les trade’s unions interdisent l’apprentissage se livrent à une vie d’aventures et d’expédiens : une foule d’adolescens de douze à dix-huit ans mènent l’exis-