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étape dans le développement économique du monde. Un jour arrivera, qui n’est pas loin, où toutes les terres seront occupées, où la population deviendra dense : alors toutes les conditions sociales des États-Unis seront profondément altérées; ce pays se rapprochera davantage des sociétés du vieux monde, et spécialement de son ancienne métropole, l’Angleterre.

Les consuls anglais des différens états de l’Union américaine ont donné des détails précis sur le taux des salaires et le prix des subsistances dans les diverses régions de ce vaste pays. Au premier abord, on est stupéfait en parcourant ces tableaux statistiques, on croit avoir découvert la terre promise où doivent désormais reposer les sociétés humaines; mais, si l’on creuse ces chiffres, on ne tarde pas à comprendre que la félicité des classes ouvrières en Amérique est moins complète et moins idéale qu’on n’était porté à le croire. Ce n’est pas que la situation des artisans n’y soit supérieure à ce qu’elle est en Europe; mais celle des manœuvres et des ouvriers de bas étage se rapproche davantage de la situation des travailleurs de la même catégorie en Angleterre et dans les riches parties de la France. Un salaire de 2 dollars par jour, soit de 10 francs, est très commun pour les ouvriers ayant quelque habileté professionnelle. On peut regarder ce taux comme une moyenne pour les artisans; souvent il est dépassé : une rémunération de 3 et de 4 dollars, soit de 15 à 20 francs par jour, pour un ouvrier d’élite, n’a rien d’extraordinaire; le chiffre de 5 dollars (25 francs) est quelquefois atteint. Le travail est habituellement de dix heures, un bon ouvrier est certain de trouver facilement de l’ouvrage et de ne chômer presque jamais. Les manœuvres et les travailleurs de bas étage sont moins heureux : ce n’est pas que leurs salaires journaliers ne s’expriment aussi par des chiffres élevés, mais il faut tenir compte du prix des choses. La rémunération journalière moyenne pour les ouvriers de cette classe varie entre 1 dollar 1/4 et 1 dollar 1/2, soit entre 6 fr. 25 et 7 fr. 50; par exception, elle s’abaisse à 1 dollar (5 francs). Assurément ce sont là des rétributions élevées et qui satisfont la plupart des immigrans. Ceux qui sont chargés de famille cependant et qui n’ont pas une habileté spéciale ont presque autant de peine qu’en Angleterre à établir leurs budgets. Les femmes trouvent difficilement à s’employer, sauf dans les états manufacturiers : à New-York, leur misère est profonde. A Buffalo, dans les manufactures de tabac ou de vêtemens confectionnés, elles gagnent de 2 à 5 dollars par semaine, soit de 1 fr. 60 à 3 fr. 50 par jour; une modiste habile peut faire des journées de 5 francs. Il en résulte que la situation d’une femme qui n’est pas soutenue par un mari, un père, un fils ou un frère est très précaire aux États-Unis. Ce qui s’offre à elle, c’est la condition de domestique; encore cet