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l’ouvrier saxon, à quelque point de vue qu’on l’envisage, est donc notablement inférieure à celle de l’ouvrier anglais.

L’on ne peut s’en étonner. Il est certain que les salaires de même que les prix des subsistances ont une forte tendance à se mettre au même niveau dans les différens pays civilisés. Il s’est déjà produit dans cette direction des faits surprenans. Ainsi la rémunération du charpentier d’Erzeroum et de Trébizonde est sensiblement la même que celle de l’ouvrier du même métier en Saxe et dans les petites villes de France; il y a cependant des obstacles qui empêchent ce nivellement de devenir complet. Les capitaux ne sont pas accumulés en masses égales sur les divers points du territoire européen, et, malgré une forte tendance vers le cosmopolitisme, ils éprouvent encore de la répugnance à quitter le pays où ils se sont fortmés pour aller féconder un sol étranger. Les ouvriers, d’un autre côté, ne sont pas non plus en nombre égal dans les diverses régions : ils abondent dans telle province et sont rares dans telle autre; ils n’ont pas non plus partout le même degré d’habileté, de force productive; et de connaissances professionnelles. Enfin toutes les terres ne sont pas douées de la même fertilité naturelle, et toutes n’ont pas été améliorées au même degré par l’homme. De même qu’il y a et qu’il y aura toujours des inégalités de condition entre les individus, de même il y a et il y aura toujours des inégalités de richesse et de bien-être entre les différens peuples. C’est là une de ces fatalités qui sont le produit des lois naturelles, et que toute nation raisonnable doit accepter. Il est aussi insensé de prétendre que les salaires doivent être égaux en Allemagne et en Angleterre qu’il est déraisonnable de vouloir que les ressources de tous les citoyens d’un même pays soient égales. Cette sorte de socialisme international, qui fait litière des différences de situation et d’antécédens des divers peuples, n’est pas moins téméraire et moins impraticable que le socialisme et le communisme appliqués aux citoyens d’un même pays. Il est vrai qu’il y a des moyens d’élever sans cesse le niveau des nations les moins bien pourvues : ce sont l’éducation, l’épargne, la discipline morale, c’est aussi pour les pays trop peuplés l’émigration. L’Allemagne recourt à ce moyen sur une vaste échelle. Le consul anglais de Hambourg porte à 1 million environ le nombre d’Allemands qui se sont embarqués à Hambourg et à Brème en quinze ans pour l’Amérique ou pour les colonies, et ce n’est pas là toute l’émigration allemande.

La Belgique a bien des traits de commun avec les parties les plus riches de l’Allemagne. La population dans cette contrée est plus dense que nulle part ailleurs. Sur une étendue de 2,945,000 hectares, on rencontre 4,529,000 habitans, soit plus de 150 âmes par kilomètre carré; c’est plus du double de la densité de la population