Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/669

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en est de même à Odessa. Le chauffage aussi est d’un prix élevé : il revient pour chaque chambre pendant l’hiver à 75 fr. environ. L’on voit que c’est une erreur de croire que dans ces pays primitifs la vie soit à meilleur marché que dans les contrées plus civilisées ; cela ne pourrait être vrai que pour un genre de vie tout à fait inférieur et dont ne voudrait aucun artisan anglais ou français. Les Russes se soumettent pourtant sans récrimination à un régime qui nous paraîtrait intolérable. Ils portent pendant toute la saison d’hiver, sans l’ôter la nuit, la même peau de mouton, ce qui est une cause fréquente de graves maladies de peau, ils s’enduisent de graisse le visage et les mains; lorsqu’ils tombent malades, ils supportent dans les hôpitaux des privations dont le consul de Kertch fait un lamentable tableau. La police sanitaire n’existe pour ainsi dire pas, et les ouvriers s’entassent dans des caves ou dans des greniers. Il y a autant de différence entre l’ouvrier anglais et l’ouvrier russe qu’entre ce dernier et les nègres des colonies, — le mot est du consul de Riga.

Cependant les populations ouvrières de la Russie ne sont pas dénuées de qualités précieuses : elles ont surtout une grande facilité d’imitation, et elles arriveront certainement avec le temps à un degré d’habileté qui se rapprochera de celui de nos artisans. Le perfectionnement de la main-d’œuvre serait beaucoup plus rapide, si les Russes faisaient aux étrangers un accueil plus loyal. Tous les consuls anglais se plaignent de ce que les industriels et les propriétaires du pays violent, à l’encontre des étrangers, les engagemens les plus formels et les mieux établis. Il paraît que la justice russe encourage cette conduite peu hospitalière. La Russie n’a pas toujours suivi ces erremens ; on se souvient des avances que plusieurs de ses souverains, notamment Pierre le Grand et Catherine II, ont faites aux étrangers. Une administration prévoyante avait même constitué dans les régions du sud des colonies d’agriculteurs allemands en leur donnant une sorte d’autonomie; ces colonies ont prospéré presque toutes et elles ont mis en valeur des terres vagues et incultes. Il y aurait sans doute avantage pour l’empire des tsars à poursuivre ce plan et à en étendre l’application. L’hectare de terre fertile se vend, dans la province d’Odessa, de 50 à 250 francs, s’il faut en croire les affirmations du consul anglais. L’on trouve en Russie un mode spécial d’association entre ouvriers, que nous avons déjà décrit ici même à propos de certaines provinces de l’Angleterre[1]. Ce sont des ouvriers agri-

  1. Voyez dans la Revue du 1er septembre 1869 le travail sur les Bandes agricoles en Angleterre.